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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2
Autoren: Irwin Shaw
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dans l’ombre, et tous les efforts doivent être concentrés sur les vivants. Ils ne sont même pas malheureux. Ils meurent libres et ils en sont heureux. C’est un luxe que je veux vous demander.
    Michael comprit que le rabbin essayait de sourire. Il avait d’énormes yeux verts, profondément enfoncés dans leurs orbites, qui brûlaient intensément dans son visage étroit, sous son haut front saillant.
    –  Je veux vous demander la permission de tous nous réunir, les vivants, les mourants, ici, sur la place… – le même geste diaphane, en direction de la fenêtre – et de célébrer un service religieux. Un service pour les morts qui ont trouvés leur fin en ces lieux.
    Michael regarda Noah. Noah regardait sobrement le capitaine Green, le visage calme et lointain.
    Le capitaine Green n’avait pas levé les yeux. Il avait cessé d’écrire, mais il était assis, tête baissée, comme s’il s’était endormi.
    –  Aucun service religieux n’a jamais été célébré pour nous dans ce camp, dit doucement le rabbin, et tant de milliers des nôtres y sont morts…
    –  Permettez-moi…
    C’était le diplomate albanais qui avait si bien secondé Green. Il s’était placé à la droite du rabbin, se tenait devant le bureau du capitaine, légèrement penché en avant, et parlait clairement, rapidement, diplomatiquement.
    –  Je ne veux pas avoir l’air de m’en mêler, capitaine. Je comprends les sentiments du rabbin. Mais ce n’est pas le moment. Je suis un Européen ; je suis ici depuis trois ans et demi, et je pense que le capitaine ne comprend peut-être pas. Je ne veux pas avoir l’air de m’en mêler, je le répète, mais je pense qu’il serait malavisé de permettre au rabbin de célébrer publiquement un service religieux hébreu dans ce camp.
    L’Albanais s’arrêta, attendant la réponse de Green. Mais Green ne dit rien. Assis derrière son bureau, la tête dodelinante, il paraissait sur le point de sortir d’un profond sommeil.
    –  Le capitaine ne comprend peut-être pas le sentiment qui règne en Europe, continua rapidement l’Albanais. Dans un camp comme celui-ci, quelles qu’en soient les raisons, bonnes ou mauvaises, ce sentiment existe. C’est un fait. Si vous permettez à ce gentleman de dire sa messe, je ne garantis pas les conséquences. Je crois qu’il est de mon devoir de vous avertir. Il y aura des incidents, de la violence, des effusions de sang. Les autres prisonniers ne le toléreront pas…
    –  Les autres prisonniers ne le toléreront pas, répéta calmement Green, d’une voix inexpressive.
    –  Non, mon capitaine, dit vivement l’Albanais, je vous garantis que les autres prisonniers ne le toléreront pas.
    Michael regarda Noah. L’expression tendue glissait de son visage, fondait, révélant graduellement une grimace d’horreur et de désespoir.
    Green se leva.
    –  Je vais garantir quelque chose, moi aussi, dit-il au rabbin. Je vais vous garantir que vous célébrerez votre service religieux dans une heure, sur cette place, devant le chalet. Je vais également vous garantir qu’il y aura des mitrailleuses sur le toit de ce bâtiment. Et je vais encore vous garantir que ces mitrailleuses ouvriront le feu sur quiconque tentera de vous empêcher de célébrer votre service.
    Il se tourna vers l’Albanais.
    –  Et je garantis enfin, dit-il, que, si vous essayez encore de pénétrer dans cette pièce sans y avoir été convoqué, je vous boucle. C’est tout.
    L’Albanais s’empressa de sortir. Michael entendit ses pas décroître dans le corridor.
    Le rabbin s’inclina gravement.
    –  Merci beaucoup, mon capitaine, dit-il à Green.
    Green lui tendit la main. Le rabbin la lui serra, tourna les talons et suivit l’Albanais. Green se mit à contempler la fenêtre.
    Puis il regarda Noah. L’ancienne expression contrôlée, rigide et calme, se voyait de nouveau sur les traits du jeune homme.
    –  Ackerman, dit Green, je ne pense pas avoir besoin de vous d’ici deux ou trois heures. Pourquoi n’iriez-vous pas faire un tour en dehors du camp, avec Whitacre ? Ça vous ferait du bien.
    –  Merci, mon capitaine, dit Noah.
    Il quitta la pièce.
    –  Whitacre. – Green regardait toujours la fenêtre, et sa voix était infiniment lasse. – Whitacre, prenez soin de lui.
    –  Oui, mon capitaine, dit Michael.
    Il sortit derrière Noah.
    Ils marchèrent en silence. Le soleil était bas dans le ciel. De longues ombres pourpres s’étendaient
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