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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2
Autoren: Irwin Shaw
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    J ’AI bien peur que cette lettre ne paraisse l’œuvre d’un fou, lut le capitaine Lewis, mais je ne suis pas pas fou et n’ai aucune envie de passer pour un fou. J’écris ceci à cinq heures de l’après-midi, dans la salle de lecture principale de la Bibliothèque publique de New York, au coin de la Cinquième Avenue et de la 42 e Rue. Sur la table, devant moi, j’ai un exemplaire des Articles de Guerre et la Biographie du duc de Marlborough, par Winston Churchill, et le type qui est assis à côté de moi prend des notes en lisant l’Éthique, de Spinoza. Je vous dis ces choses pour vous montrer que je sais ce que je fais et que ni ma raison ni mes facultés d’observation ne sont atteintes en aucune façon… »
    –  C’est la première fois depuis que je suis dans l’armée que je lis une chose pareille, dit le capitaine Lewis à la wac (4) qui lui servait de secrétaire. Qui nous l’a envoyée ?
    –  Le bureau du Provost Marshal, dit la wac. Ils veulent que vous alliez examiner le prisonnier, pour leur dire s’il est en train ou non de feindre la folie.
     « Je vais terminer cette lettre, lut le capitaine, et je prendrai le métro jusqu’à la Batterie et le ferry jusqu’à l’île du Gouverneur pour me rendre aux autorités. »
    Le capitaine Lewis soupira et regretta un instant d’avoir étudié la psychiatrie. N’importe quelle autre fonction, dans l’armée, aurait été beaucoup plus simple et lui aurait apporté plus de satisfactions.
    « En premier lieu, continuait la large écriture nerveuse et irrégulière, je tiens à préciser que personne ne m’a aidé à quitter le camp et que personne ne savait ce que je m’apprêtais à faire. Inutile également d’importuner ma femme, parce que je me suis abstenu d’aller la voir, ou de me mettre en rapport avec elle, de quelque manière que ce soit, depuis mon arrivée à New York. J’avais un problème à résoudre, et je ne voulais pas risquer de me laisser influencer par aucune considération de sentiment. Personne ne m’a hébergé à New York et je n’ai parlé à personne depuis que j’y suis arrivé, voilà une quinzaine de jours, et je n’ai rencontré personne de ma connaissance. J’ai marché presque constamment, le jour, et dormi la nuit dans divers hôtels. J’ai encore sept dollars et pourrais tenir le coup trois ou quatre jours de plus, mais j’ai compris, à présent, ce que je devais faire et ne désire pas reculer davantage. »
    Le capitaine Lewis regarda sa montre. Il avait un rendez-vous en ville, pour déjeuner, auquel il n’avait pas envie d’arriver en retard. Il se leva, enfila sa veste et fourra la lettre dans sa poche, pour la lire pendant la traversée.
    –  Si quelqu’un me demande, dit le capitaine à la wac, je suis en train de visiter les hôpitaux.
    –  Oui, mon capitaine, répondit gravement la jeune femme.
    Le capitaine Lewis mit son calot et sortit. C’était un jour ensoleillé, avec une légère brise, et, de l’autre côté du port, solidement enracinée dans l’eau verte, New York City se dressait, victorieuse. Le capitaine Lewis éprouva le petit pincement au cœur qu’il éprouvait toujours lorsqu’il l’apercevait, droite et paisible devant lui ; curieux endroit, en vérité, pour un soldat d’une armée en guerre. Mais il répondit avec précision aux saluts des soldats qu’il croisa sur le chemin du ferry, et, lorsqu’il pénétra dans la section du pont supérieur réservée aux officiers et à leurs familles, il se sentait déjà beaucoup plus militaire. Le capitaine Lewis n’était pas un mauvais homme, et sa conscience le tourmentait fréquemment. Sans doute eût-il été parmi les hommes les plus braves et les plus utiles si l’armée l’avait placé dans une position pleine de périls et de responsabilités. Mais, à New York, il avait la bonne vie. Il vivait dans un hôtel confortable, au tarif militaire ; sa femme était à Kansas City, avec les enfants, et il partageait ses nuits entre deux belles filles qui étaient mannequins de couture, accordaient chaque semaine un certain nombre d’heures à la Croix-Rouge et étaient toutes les deux plus jolies et plus expertes qu’aucune des femmes qu’il ait jamais connues. Parfois, en s’éveillant le matin, d’humeur sombre, il décidait que tout cela devait cesser et qu’il demanderait son transfert dans une zone de combat plus active, ou, du moins, qu’il insufflerait dans son propre
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