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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2
Autoren: Irwin Shaw
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le soleil et senti une dernière fois le frais contact de l’air printanier sur leurs chairs déjà inexistantes.
    Vers la fin du premier après-midi, lorsqu’il vit l’ébauche de l’organisation réalisée par Green, à sa manière tranquille et presque embarrassée, Michael éprouva un respect immense envers le petit capitaine poussiéreux à la voix efféminée. Rien, dans le monde de Green, n’était irrémédiable, songea Michael. Rien, pas même le désespoir sans fond laissé par les Allemands au cœur marécageux de leur expirant millénaire, qui ne pût être réparé par l’honnêteté, le bon sens et l’énergie d’un bon ouvrier. En regardant Green donner des ordres brefs et intelligents à l’Albanais, au sergent Houlihan, aux Russes, et aux Polonais, et aux Juifs, et aux communistes allemands, Michael comprit que Green n’avait nullement conscience de faire quoi que ce soit d’extraordinaire, quoi que ce soit que n’importe quel agrégé de l’École des élèves officiers de Fort Benning n’eût fait aussi bien à sa place.
    En regardant travailler Green, aussi efficient et calme que s’il avait été en train de présider à la mise au point de la routine quotidienne, dans une salle de rapport, en Georgie, Michael fut heureux de n’être jamais allé à l’École des officiers. « Je n’aurais jamais pu le faire, pensa Michael ; j’aurais pris ma tête dans mes mains, et j’aurais pleuré jusqu’à ce qu’on vienne me relever. » Green ne pleurait pas. En fait, à mesure que passaient les heures, sa voix, qui de toute la journée n’avait exprimé de sympathie pour personne, devenait de plus en plus dure, de plus en plus militaire et impersonnelle.
    Michael, en outre, observait soigneusement Noah. Mais l’expression du visage de Noah restait immuable. C’était une expression pensive et froidement réservée, à laquelle se cramponnait Noah comme on se cramponne à un vêtement très coûteux, acheté avec ses dernières économies et trop cher à l’âme pour qu’on veuille s’en séparer, même dans les circonstances les plus extrêmes. Une seule fois, dans l’après-midi, lorsque, au cours d’une mission dont ils avaient été chargés par le capitaine, Noah et Michael avaient dû marcher le long de la ligne d’hommes qui avaient été déclarés impossibles à sauver, Noah s’était arrêté. Nous y sommes, avait pensé Michael en l’observant obliquement, cela va arriver. » Noah avait contemplé les hommes émaciés, osseux, couverts d’ulcères, à demi nus et mourants, déjà au-delà de toute victoire et de toute libération, et son visage avait tremblé, l’expression chèrement acquise avait failli lui échapper. Mais il s’était maîtrisé, il avait fermé les yeux, il s’était essuyé la bouche avec le dos de sa main, en disant : « Allons-y. Pourquoi s’est-on arrêté ? »
    Ils étaient dans le bureau du commandant lorsqu’un vieillard fut admis en la présence du capitaine Green. Du moins, paraissait-il vieux. Il était voûté, et ses longues mains jaunes étaient d’une maigreur diaphane. Mais il était impossible de dire avec certitude s’il était jeune ou vieux, car presque tous les occupants du camp semblaient vieux, ou sans âge.
    –  Je m’appelle Joseph Silverson, disait lentement le vieillard. Je suis rabbin. Je suis le seul rabbin du camp…
    –  Oui ? l’encouragea le capitaine Green.
    Mais il ne leva pas les yeux du papier sur lequel il griffonnait une demande de produits pharmaceutiques et de matériel médical.
    –  Je ne veux pas ennuyer l’officier, dit le rabbin. Mais je voudrais présenter une requête.
    –  Oui ?
    Le capitaine Green, cette fois encore, ne leva pas les yeux. Il avait ôté son casque et sa veste de campagne. Son baudrier était suspendu au dossier de sa chaise. Il avait l’air d’un employé occupé, dans un grand magasin, à vérifier des factures.
    –  Des milliers de Juifs, dit lentement le rabbin, sont morts dans ce camp, et plusieurs centaines… – le rabbin leva doucement ses mains diaphanes vers la fenêtre – mourront ici, ce soir, cette nuit, demain…
    –  Je suis désolé, rabbin, dit le capitaine Green. Je fais tout ce que je peux.
    –  Évidemment. – Le rabbin hocha affirmativement la tête. – Je le sais. Il n’y a plus rien à faire pour eux.
    Pour leurs corps. Je comprends. Nous comprenons tous. Rien de matériel. Eux-mêmes le comprennent. Ils sont déjà
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