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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers
Autoren: Olivier Merle
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roi Henri IV
me promut écuyer. C’est là une de ces fines gausseries qu’il affectionne et, si
je m’inscris en faux contre celle-ci, il y a tout lieu d’en rire, non de s’en
offusquer, et je n’en causerai pas plus outre. De ce nom, Miroul, je ne tire
pour autant aucune fierté malvenue, c’est le mien, et rien de plus. Et c’est
sans vergogne aucune que je pense avoir reçu en partage, à ma naissance, des
qualités qui m’ont tant aidé à survivre en ce siècle périlleux, en particulier
une grande agilité physique, beaucoup d’adresse et une certaine vivacité
d’esprit.
    Quand nous fûmes, mon maître et moi, retirés en notre
province, à la seigneurie du Chêne Rogneux, loin de la cour et de ses
artifices, j’ai appris ce qui n’est pas le lot ordinaire du simple domestique.
De la pique du jour au crépuscule, trempant la plume dans l’encre noire, je
trace les lignes comme on creuse un sillon, suant mots et phrases, page après
page, jusqu’au moment où mes yeux se brouillent dans l’obscurité naissante. La
dureté de ce labeur, et la peine qu’il me cause, ne peuvent être entendues du
lecteur, car celui-ci est de ceux qui ont découvert ces choses en leurs
maillots et enfances, savent broder les formules, et envelopper de perles et de
diamants les discours qui sortent de leur bouche. Mais pour moi qui suis fils
et petit-fils de paysans, c’est une autre besogne !
    Si je m’acquitte avec une telle obstination de ce pâtiment
journalier, c’est que j’ai idée d’offrir au lecteur un second regard, celui du
sans-grade, sur les aventures qu’il connaît. Des premières loges, on distingue
assez bien le rôlet des personnages, mais personne ne pourra contester que, sur
la scène, on les voit mieux encore. Et combien de fois, dans l’ombre de mon
maître, présent mais silencieux, j’ai pu tout à loisir envisager cette noblesse
de France qui nous a menés au désastre.
    À quoi bon, vous gausserez-vous, se ramentevoir ces crimes
et ces massacres alors qu’ils ont été longuement exposés par Pierre de
Siorac ? C’est que je suis d’avis qu’il faut chaque jour en entretenir le
souvenir pour non pas oublier où mène l’ignominieuse barbarie, celle qui se
costume de la religion pour mieux assouvir les désirs de la puissance et du
pouvoir. Ceci n’est point clabauderies inutiles et se révèle d’un tout autre
tonneau que les préciosités de nos nobles oisifs. Et le lecteur qui se
rebiquerait au simple fait de connaître ce qu’un fils de paysan peut penser de
tout cela, qu’il ferme tout à plein ce livre et passe son chemin !
    Du reste, en ce prédicament, je n’ai pas eu la bassesse
d’agir comme un voleur et de me cacher de celui à qui je dois la fortune d’une
situation stable, non sans un peu de pécune, et où brouet de chapon,
franchelippée ainsi que tranquillité de l’esprit sont à jamais garantis. Pierre
de Siorac, mon bon maître, m’aurait refusé tout à plat d’ouvrir mon cœur en
maniant la plume, que j’aurais illico jeté aux herbes folles encrier et
parchemins. Mais il ne l’a pas fait, quoiqu’il lui en coûtât, et c’est une
nouvelle et belle démonstration de sa grandeur d’âme qu’il me montra en cette
occasion.
    N’ayant nullement l’intention dans ce récit de déguiser quoi
que ce soit et encore moins de travestir la réalité, je ne cacherai pas le nœud
qui étouffait ma gorge quand je frappai à la bibliothèque où je savais le
trouver. Non pas que mon maître, après tant d’années passées à son côtel,
m’impressionne ou m’intimide, mais la demande si singulière que j’avais à lui
présenter me paralysait quelque peu.
    Il se trouvait assis dans le fauteuil de droite, près de la
fenêtre la plus large, et tenait en ses mains un livre qu’il tendait presque à
bout de bras car la vue de près, comme pour moi, lui fait maintenant défaut. Il
tourna vers moi son visage, qui demeure ferme et beau maugré les ans, et m’interrogea
de son regard azuréen. Depuis qu’il porte cette toison blanche, il ressemble à
s’y méprendre à son défunt père, Jean de Siorac, le héros de Cérisoles et de
Calais, si ce n’est que le père se dégarnissait sur le dessus alors que le fils
arbore la même chevelure que du temps de ses vertes années, hormis la couleur.
En dépit des traverses de la vie, il est resté le même, vif, alerte,
inépuisable, et toujours autant attiré par la garce. Quoique de ce côté,
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