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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers
Autoren: Olivier Merle
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pas très raisonnable
pour un huguenot de fréquenter le curé, quand bien même ce serait pour lui
sucer les mérangeoises, d’autant plus que ce qu’il t’apprend, je pourrais tout
aussi bien te l’enseigner.
    — Je sais, mon maître, mais vous étiez si occupé ces
dernières années par l’écriture de vos Mémoires que j’aurais eu mauvaise grâce
à vous importuner.
    — Brave Miroul ! Tu es irremplaçable depuis que la
faim t’a mené en notre baronnie de Mespech. T’en souviens-tu de cette farce
magnifique que tu as jouée en escaladant la tour du castel, aussi agile qu’un
lézard sur son mur ?
    — Oui-da, et ce fut bien la meilleure chose que j’ai
faite dans ma vie que de vouloir dérober une tranche de jambon à la
frérèche !
    À ce point de la conversation, et misant tout sur le
souvenir de notre lointaine jeunesse qui le laissait tout atendrézi, je tentai
d’avancer dans ma requête avec le ferme espoir de la faire aboutir.
    — Le curé n’a pas votre talent pour conter les
histoires, mais il m’en a donné l’envie, et j’aimerais user de votre médecine
de l’âme pour égailler ces vieux jours qui sont les nôtres.
    — Que me donnes-tu à entendre, Miroul ? fit Siorac,
perplexe.
    Avalant ma salive, et sur un ton précipiteux, je me lançai à
la hussarde :
    — J’ai idée de rédiger mes Mémoires comme vous avez
écrit les vôtres.
    Pierre de Siorac me regarda, béant, pendant un temps qui me
parut si long que je baissai les yeux. À la parfin, il finit par articuler
d’une manière qui ne me plut guère :
    — Toi ?
    Et il répéta sur le même ton :
    — Toi, Miroul ? Toi, tu veux écrire tes
Mémoires ?
    Piqué au vif par ce que ces paroles laissaient à penser, je
m’accoisai, assez blessé en mon for intérieur et bien marri de son opinion.
Pourtant, je dois avouer que c’est aussi une qualité de mon maître de ne pas
faire la chattemite et de toujours me causer avec franchise mais, en ce
prédicament, j’accusai le coup et me sentis tout dépité. Il s’en aperçut, le
regretta sans doute, ce qui est bien conforme à son caractère plus tourmenté
qu’on ne le croit, et chercha à adoucir l’effet de son propos.
    — Voyons, Miroul, tes Mémoires sont un peu les miennes.
Que voudrais-tu donc ajouter qui n’aurait jà été rapporté ?
    — À votre côtel, certes, et grâce à vous, j’ai vu tous
ces hauts faits d’armes que vous avez contés. Mais j’ai vécu mon lot
d’aventures également, ne me trouvant pas ligoté à vous comme un siamois.
    À cette réponse qui n’eut pas l’heur de lui plaire, Siorac
sourcilla, me jeta un bref regard que je fis semblant d’ignorer, et
reprit :
    — Cependant, pour l’essentiel, et pour ce qui intéresse
le lecteur, les faits sont maintenant connus…
    — Ils peuvent être racontés deux fois.
    Je sentis qu’il se cabrait de nouveau et que ma réponse le
laissait encoléré.
    — Veux-tu dire que j’ai travesti la réalité, menti au
lecteur, et que mon récit n’est qu’un long tissu de vanteries gasconnes ?
    — Nenni, Moussu Pierre, loin de moi une telle
pensée ! Et bien au rebours, j’attesterai de leur exactitude et de leur
précision.
    Pour habile que fut cette réponse, elle ne me donna aucun
avantage car mon maître, en levant les bras au ciel comme pour le prendre à
témoin, répondit avant même que j’eusse fermé la bouche :
    — Eh bien, à quoi cela sert-il dans ce cas ? Le
lecteur n’a nul besoin d’un autre récit qui confirme le mien ! Quel ennui
pour lui d’emprunter une seconde fois le même chemin !
    — Le même chemin, certes, mais un autre paysage.
    — Voilà que tu recommences ! s’emporta-t-il. Si tu
sous-entends encore que mes Mémoires ne sont que piperies et mensonges, coquin,
il t’en cuira !
    Et s’accoisant tout soudain, mon maître fit quelques tours
et détours dans la bibliothèque, la joue écarlate, la main tremblante et l’œil
assassin.
    — Pardonnez ma maladresse, Moussu Pierre, mais vous
vous méprenez, je ne sous-entends rien, et suis mieux placé que quiconque pour
connaître la justesse de vos Mémoires.
    Il n’en fut pas calmé pour autant, poursuivant ses tours et détours
furieux, si bien que je commençais à désespérer de l’issue de mon entreprise.
Mais on a bien raison de dire que c’est au pied du mur, quand tout paraît
perdu, qu’on trouve parfois les ressources ou l’inspiration dont on a
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