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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers
Autoren: Olivier Merle
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s’il
montre encore – ou feint de montrer encore – un appétit féroce, il
est plus vite rassasié que par le passé.
    — Entre, mon bon Miroul ! me lança-t-il de sa voix
familière, ne reste pas là planté comme statue de marbre devant le saint
sépulcre !
    J’entrai gauchement, ce qui était inhabituel et fut remarqué
par mon maître, lequel resta coi mais sourcilla d’étonnement et me dévisagea
avec insistance.
    — Peux-je vous entretenir, Moussu Pierre ?
    Et vramy, la voix me sortit des lèvres avec une faiblesse si
inaccoutumée que j’en fus fort dégoûté de moi-même.
    — Je t’écoute, Miroul.
    J’avalai une pleine brassée d’air pour retrouver mes
esprits. Mais en voilà bien de nous autres, gens de peu, dès lors que l’émotion
nous assaille, le fil de la pensée s’enroule comme une pelote sans qu’on puisse
y retrouver ni le début ni la fin. Pour dire le vrai, j’avais préparé et tourné
mon discours avant que d’entrer, mais celui-ci s’étant tout emmêlé et brouillé
en un instant, je me lançai au hasard dans une entame improvisée.
    — Quand vous écriviez vos Mémoires, ne m’avez-vous pas
souvent répété que vous y preniez moult plaisir ?
    — Si fait.
    — Et que c’était grand remède à la tristesse de la
vie ?
    — Si fait.
    — Que ce fut aussi, pour vous, une manière de vivre une
seconde fois ces merveilleuses aventures ?
    — Si fait.
    — Et que vous souhaitiez à chacun d’user de cette
médecine pour sa vieillesse.
    — S’il se peut.
    Je marquai une pause pendant laquelle Pierre de Siorac posa
son livre sur la petite table qui jouxtait le fauteuil. Bien qu’il ne devinât
rien, du moins je le suppose, il sentait mon trouble et mesurait l’importance
de l’entrevue.
    — Vous connaissez le dur labeur que je me suis imposé
pour mieux écrire… dis-je enfin.
    — Je m’en suis aperçu.
    — J’ai progressé encore grâce au curé du village qui
m’instruit et se pique d’être, en quelque sorte, mon précepteur.
    — Quoi ! s’écria mon maître.
    Il se leva d’un bond, la mine tout enchifrenée, le teint
soudain pâle et se mit à arpenter la pièce en proie à une vive agitation.
    — Le curé ? reprit-il avec véhémence, tu
fréquentes le curé à présent ? Ah, sanguienne ! Le diable est dans le
fruit et je ne le savais point !
    Que n’avais-je besoin de parler du prêtre car, dans la
maison d’un huguenot, c’est bien d’une incommensurable sottise d’en appeler à
un papiste, surtout quand il s’agit d’instruction ! Mon affaire
s’engageait mal, et par ma faute, et je me mordais le gras de la joue, ne
sachant plus comment me dépêtrer de cette farine en laquelle j’avais donné le
bec.
    — Eh bien ? dit brusquement mon maître en se
campant devant moi, les deux mains sur les hanches. Eh bien ? Est-ce ainsi
que tu veux finir tes vieux jours, dans le giron de cet idolâtre, de ce gros
tas de graisse transpirant le cochon et puant la vinasse ?
    — Que non pas, mon maître, que non pas ! dis-je
vivement pour briser cette colère. Vous savez que ma foi dans la religion
réformée est inébranlable !
    À vrai dire, cet émeuvement de mon maître me surprit fort,
car il est tout sauf fanatique, compta nombre d’amis catholiques, et s’est lié
d’une belle et sincère amitié avec le chanoine Fogacer, lequel est bougre et
athée comme bien on sait. Fallait-il y déceler du remords, et pourquoi pas de
la jalousie, de s’être fait doubler par le curé dans un rôle qui aurait pu être
le sien ? Je n’en avais pas la certitude mais le soupçonnais suffisamment
pour tenter d’en tirer profit.
    — Ce curé est un coquardeau ! Un sot ! Un
vaniteux ! lâcha-t-il finalement mais sur un ton radouci qui contrastait
fort avec les injures jetées à la tête de notre ecclésiastique.
    — Oui-da, car il croit me convertir à la longue alors
que je ne fais l’aimable que pour lui voler son savoir.
    — Son savoir ? dit Siorac en levant le sourcil.
    — Il n’a pas la science de la médecine comme vous, mais
il entend le latin, le grec, et sait tourner les phrases pour mieux tromper le
peuple.
    Ceci fut prononcé sur le ton le plus suave, sachant le miel
que je faisais couler dans la gorge de mon maître, faisant mouche par deux
fois, d’abord en rappelant son érudition de médecin, ensuite en évoquant les
fourberies du clergé catholique.
    — Tout de même, Miroul, ce n’est
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