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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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besoin.
    — Monsieur mon maître, repris-je avec déférence, je
suis tout quinaud de vous voir tant escalabrous contre moi. Je me suis mal
exprimé : le même paysage, voulais-je dire, le même paysage mais d’un
autre point de vue.
    — Alors, ce n’est pas la même route, dit-il sur un ton
définitif.
    — Ne peut-on sur un même visage voir deux yeux
différents ?
    Là, je touchai ma cible car, du bout des lèvres et tentant
de le dissimuler, je le vis sourire. Le lecteur, en effet, se ramentoit
certainement que j’ai les yeux vairons, l’un bleu, l’autre marron, ce qui donne
à mon visage un aspect singulier comme si j’appartenais à deux mondes
différents. Du reste, pour dire le vrai, c’est un peu le cas, étant tout à la
fois issu de la glèbe et lié au sort des Siorac depuis mes plus vertes années.
    — Par ma foi, le drôle ne manque pas de
répondant ! s’exclama mon maître, mais il resta cependant fermé comme une
huître et n’ajouta rien.
    Fouillant dans la poche de mon haut-de-chausses, je sortis
une pièce de monnaie et, la tenant verticalement entre le pouce et l’index, je
la levai à la hauteur de mes yeux. Comme, faisant cela, je n’avais mie prononcé
une seule parole et que la scène se prolongeait, mon maître lâcha entre ses
dents :
    — Non content de fréquenter les curés, il s’adonne
aussi à la magie noire, tel le sieur Nostradamus lui-même.
    — Mon maître, dis-je sans rien rétorquer à cette
saillie, voyez-vous bien l’avers de ce denier ?
    — Je le vois.
    Lors je fis pivoter la pièce de monnaie entre mes doigts et
lui présentai l’autre face.
    — Et maintenant, en voyez-vous le revers ?
    — Je le vois également.
    — L’avers et le revers sont-ils identiques ?
    — Point du tout, et ils sont même fort différents.
    — Pourtant, l’avers et le revers ne sont-ils pas les
deux visages d’une seule et même pièce ?
    À cela, mon maître s’esbouffa tout à plein et s’écria :
    — Ma parole, tu es malin comme un singe, Miroul !
    Le voyant rire, je crus la partie gagnée car le rire fait
tomber la tension et les mauvais pensements aussi sûrement que l’ivresse fait
oublier les peines. Las, je me trompais fort comme la suite me le montra bien.
Mon maître parut réfléchir un instant puis, saisissant la pièce de monnaie et
la faisant sauter dans la paume, il s’écria :
    — Il faudra s’en ramentevoir de cette fable de l’avers
et du revers ! Et si tu veux savoir ce que j’en pense, je vais t’en dire
ma râtelée !
    Sur ce, me rendant la pièce, laquelle retourna incontinent
au fond de ma poche, Siorac traversa la bibliothèque à grands pas, et se planta
devant les innombrables reliures de cuir, le doigt levé, parcourant des yeux
les rayonnages à la recherche d’un ouvrage. Avec une exclamation de victoire,
il tira un livre qu’il ouvrit aussitôt et tournant les feuilles rapidement, il
s’immobilisa devant une page qu’il relut d’abord en silence.
    — Voilà, voilà, c’est ici… murmura-t-il.
    Il leva ensuite vers moi ses yeux bleus triomphants et me
fit signe de l’ouïr avec attention, ce qui était bien inutile vu que je me
tenais coi, tourné vers lui et ne perdant miette de ses faits et gestes.
    — Connais-tu Michel de Montaigne, l’un des plus grands
esprits de notre temps ?
    Je m’inclinai et continuai à me taire.
    — Écoute ceci, mon Miroul, poursuivit-il en posant son
index sur les lignes, c’est un discours sur la vérité et, là, je lis : Le
revers de la vérité a cent mille figures !
    —  Vous vous gaussez de moi ? hasardai-je.
    — Non pas, Miroul ! Tu touches là exactement le
fond de ma pensée.
    Et ce qu’elle signifiait, hélas, je ne le comprenais que
trop ! La vérité était une et indivisible, elle ne pouvait présenter deux
visages, alors que, bien au rebours, le revers de la vérité, c’est-à-dire le
mensonge, pouvait prendre mille formes comme il y a mille façons de tromper.
    — La vérité n’a pas de revers, mon brave Miroul,
ajouta-t-il comme pour enfoncer plus avant la lame dans la plaie béante qu’il
avait ouverte.
    Je fus long à reprendre mes esprits et il est constant de
dire qu’au fond du trou on ne voit plus l’issue. Le temps nous poigna car
Pierre de Siorac n’était pas sans considérer avec tristesse le puits où il
m’avait jeté, et je tiens à affirmer haut et fort, pour non pas donner de lui
une trop mauvaise opinion, que

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