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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers
Autoren: Olivier Merle
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c’est l’auteur des fameuses Mémoires, et non
l’homme, qui venait à l’instant de s’exprimer.
    — Et comme médecin, que me conseillez-vous ?
réussis-je à articuler avec difficulté.
    Il y avait là une certaine perfidie et duplicité à en
appeler au disciple d’Hippocrate, lequel ne pouvait soutenir un point de vue
identique à celui, définitif et cruel, que je venais d’entendre. Mon maître se
passa la main sur le visage, le front soucieux, la face rembrunie, sentant déjà
en lui le vilain poison que, dans ma détresse, j’avais coulé dans ses veines.
    — Va, j’y vais songer, lâcha-t-il à voix presque basse.
    Et d’un geste de la main, il me donna congé.
    Je ne saurais dire qui, de lui ou de moi, souffrit le plus
en ce prédicament. Quand je regagnai mon logement, je jetai un regard abattu
sur l’écritoire et le pupitre où se trouvaient, en un petit tas bien rangé, les
dernières pages de mes sottes illusions. Il s’en fallut de peu que je ne les
déchirasse en mille morceaux et c’est, je crois, un ultime respect pour le
labeur accompli qui m’empêcha de me livrer à cette extrémité. Cependant, je n’y
touchai plus et comme mon maître, dans les semaines qui suivirent notre
entrevue, oncques n’y fit aucune allusion, l’encre sécha dans l’encrier, et les
pages s’enroulèrent sur elles-mêmes, tels de vieux parchemins.
    Je perdis tout soudain appétit à la vie et devins aussi
irritable qu’un pleure-pain ou un chiche-face. Tournant en rond comme lion en
cage, du matin au soir, mâchonnant à l’infini de sombres pensées, saluant à
peine ma femme, et jasant mollement avec mes propres enfants lorsque ceux-ci me
rendaient visite, je me sentais atteint d’un mal étrange qui m’était
jusqu’alors tout à plein déconnu. Et j’envisageai froidement, c’est dire au
lecteur en quel tourment cette histoire m’avait plongé, que le Seigneur dans sa
grande bénignité puisse me rappeler à lui, sans que cette triste perspective ne
m’émeuve outre mesure.
    Quant à mon maître, lui d’ordinaire si fringant et si
loquace, il sortait peu ou mie, faisant également du renfrogné, l’air fort
malengroin et répondant à rebelute dès qu’on lui adressait la parole.
    Nous allions ainsi comme deux inconnus dans la même demeure
quand je le vis un jour sortir sur le perron, et m’ayant envisagé un court
instant, se diriger vers moi d’un pas vif et gaillard.
    — Miroul, me dit-il, tu n’as pas l’air bien allant.
    — C’est la saison, Moussu Pierre. Quand les feuilles
tombent des arbres, je me sens loche et marmiteux.
    Il marqua un temps, soupira comme s’il se trouvait face à un
enfant capricieux, et s’écria sur le ton le plus alerte et le plus
joyeux :
    — Eh bien, coquefredouille, que n’uses-tu de cette
médecine de l’âme dont tu m’as parlé l’autre jour !
    Je reçus cette franche et bonne parole au cœur et mes yeux,
aussitôt, s’embuèrent de larmes.
    — Si c’est là votre potion, répondis-je, je la boirai
jusqu’à la lie !
    Et je lui aurais volontiers sauté au cou, lui baillant une
forte brassée, s’il n’avait tout aussitôt tourné les talons et ne s’en était
reparti du même pas vigoureux, non sans avoir lancé par-dessus son
épaule :
    — Montaigne se trompe, mon vieux Miroul ! Dans la
vérité, il y a l’avers et le revers !
    Et ce qui l’avait fait changer dans son opinion à mon égard,
je ne puis le dire avec certitude, sinon que mon maître n’est pas de ces
pisse-froid qui pensent tout savoir sur tout, ne varient sur rien, et
n’écoutent que leur propre raisonnement.
    De mon côtel, je me sentis de suite tout à plein rebiscoulé,
si bien que je laissai en plan le labeur du moment, courus jusque chez moi, et
entrepris incontinent de nettoyer l’encrier asséché ainsi que la plume qui
gisait inerte sur le rebord de l’écritoire.
     
    Je suis né quelques courtes années avant l’an 1550, au mois
de juillet. Que le lecteur qui s’étonnerait que je connaisse le mois, et non
l’année, considère qu’à la campagne il en va différemment de la ville. Ma mère
eut treize enfants, dont sept moururent à la naissance ou dans leurs langes, et
mon père ne se souciait guère d’état civil. Aussi loin que ma pauvre maman
pouvait se le ramentevoir quand je lui posais la question, j’étais présent à la
grande fête organisée à Vergt, la bourgade voisine, pour célébrer la moitié du
siècle,
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