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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers
Autoren: Olivier Merle
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et si j’y étais encore fort petit, elle soutenait que je trottais déjà.
Quant au mois de juillet, elle se rappelait sans doutance aucune que les
derniers jours de sa grossesse coïncidèrent avec la période des foins et que la
chaleur, cette année-là, l’avait fort incommodée lorsqu’elle guidait les deux
ânes qui tiraient la lourde charrette.
    De ce fait, pour trois ou quatre ans sans doute, je suis
l’aîné de Pierre de Siorac, lequel est né le 28 mars 1551, ainsi qu’il l’a
consigné dans ses Mémoires avec une remarquable précision. Et s’il est né à
Mespech, petit castel fortifié non loin de Sarlat, j’ai vu le jour dans un
hameau si petit que je doute qu’il se trouve sur aucune carte, et qui s’appelle
La Vidogne, non loin de Vergt, comme je l’ai indiqué plus haut.
    Il est constant que notre foyer manquait de pécune, mais
nous n’avons jamais connu la vraie misère, celle où l’on voit les siens mourir
de faim et enterrés à la hâte, sort cruel de certaines familles quand
sévissaient les plus rudes disettes. Ceci, je l’ai vu, et croyez-moi, c’est un
triste spectacle à contempler que de distinguer, dans le silence froid et la
brume de l’hiver, un maigrelet cortège où un corps, jeté sur un chariot tiré à
bras d’hommes, se balance macabrement au gré des cahots de la route.
    Personne, chez nous, n’était désoccupé. Mes parents
possédaient par héritage une petite ferme et quelques lopins de terre qu’ils
retournaient et travaillaient avec courage, aidés en cela par la fratrie
rassemblée, chaque enfant se mettant au labeur du labour dès que l’âge le lui
permettait. Nous possédions en propre deux ânes, ainsi qu’un courtaud, et ce
vaillant petit cheval que j’aimais prou, rendait d’incommensurables services
dans les travaux des champs. À ceci s’ajoutaient une vache, un véritable trésor
en ces temps difficiles, quelques chèvres, des lapins et une multitude de
poules et de poulets. Bref, malgré les bouches à nourrir, mais elles se
contentaient de peu et nous n’étions pas bien gros, nous avions de quoi tenir
si le mauvais temps s’en venait à gâter les récoltes.
    J’étais le plus jeune des enfants, du moins des survivants,
car je n’affirmerais pas que ma mère n’ait pas enduré une ou deux grossesses
supplémentaires après ma naissance. Il était – et il est toujours –
monnaie courante que de perdre un enfant à l’accouchement et nul ne songeait à
s’y attrister, mais lorsque la mère aussi était rappelée à Dieu avec le petit
ange, les familles souffraient d’un irréfragable pâtiment. De cela, nous étions
bien conscients et mon père nous demandait de remercier prou et avec humilité
le Tout-Puissant de nous avoir en sa sainte garde. Hélas, comme je le dirai
plus loin, cette protection ne dura pas et cessa de la plus cruelle des
manières.
    Mes trois frères et mes deux sœurs étaient déjà en âge de travailler
quand je naquis, c’est-à-dire que le plus jeune d’entre eux, mon frère Colin,
avait passé ses sept ans. À la ferme, un pitchoune est un embarras, un tourment
inutile, et les grands-parents qui souvent surveillent la marmaille quand les
autres sont aux champs faisaient céans défaut. La raison en était que ces
derniers vivaient avec d’autres de leurs enfants dans des hameaux qui, s’ils
étaient assez proches, étaient séparés cependant de notre logis par quelques
heures de marche. Si bien que ma mère, qui n’avait guère loisir à pouponner
votre jeune serviteur, dut trouver astucieux remède à cette malfortune.
    En sus des bêtes dont j’ai parlé plus haut, notre ferme
comptait des chiens qui pullulaient à loisir et se reproduisaient librement.
Ceux-ci avaient fonction d’aboyer furieusement pour effrayer le maraudeur et je
dois dire qu’ils ne s’en privaient point, la hurlade continue de ces cerbères
couvrant souvent nos clabauderies, ce qui forçait parfois mon père à donner du
fouet et de la voix pour leur geler le bec.
    Jugeant que ces immutables compagnons avaient une haute idée
de leur rôlet et ayant toute fiance dans leur bénignité, ma mère n’hésita pas
un instant, quand elle fut remise de ses couches et dut s’en retourner trimer
aux champs, à me déposer au milieu d’eux, me laissant comme chiot au milieu de
la meute.
    Et ce qui se passa, je ne puis le raconter bien sûr, n’en
ayant conservé aucune souvenance. Mais on me retrouva couché et
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