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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers
Autoren: Olivier Merle
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endormi,
allongé de tout mon long contre le flanc d’une chienne qui me léchait
consciencieusement la face et bavait avec amour sur mon maillot. Elle ne fut
pas la seule à me témoigner la plus pure affection ; tous nos chiens,
grands et petits, doux ou susceptibles, me considérèrent incontinent comme un
des leurs et, certainement, avant même que de savoir parler, j’appris d’eux un
langage de bête qui me fut très utile en moult occasions.
    Et cette proximité fut si forte que lorsqu’une autre
chienne, quelques semaines plus tard, mit bas quatre chiots, on me vit au
milieu d’eux téter furieusement la pauvre mère, écartant de mes menottes
malhabiles mes infortunés concurrents. Toute notre famille s’esbouffa si fort à
l’occasion que l’histoire fit le tour du hameau et fut connue de tous. De ce
jour fameux, je gagnai le sobriquet de « chiot-pitchoune », surnom
qui me resta jusqu’aux terribles événements que je vais conter tantôt.
    Ainsi, dans les trois à quatre premières années de mon
existence, je fus mi-homme mi-chien, jappant plus que je ne parlais, et filant
les haies et les taillis en compagnie de mes compères à quatre pattes. Je
poussais au vent comme une herbe folle et, je dois bien l’avouer, oncques n’ai
connu plus grande liberté de toute ma vie, à telle enseigne que le pensement me
poigne à cette évocation.
    Je courus bientôt sous les arbres et n’eus de cesse de
grimper dedans, au grand désespoir de mes chiens-compagnons qui s’assemblaient
tout autour, posaient leurs deux pattes avant sur le tronc en pleurant, et
soudain furieux de me voir inaccessible, aboyaient comme des forcenés, la
gueule levée dans ma direction. Mais je n’en avais cure et, glissant de branche
en branche avec une agilité et une facilité chaque jour plus merveilleuses, je
me hissais jusqu’à la cime, ne renonçant à poursuivre que lorsque celle-ci
ployait trop dangereusement sous mon poids.
    Plus tard, à l’orée de mes huit ans, je me confectionnai un
grappin attaché au bout d’une corde et je corsai l’exercice en le balançant
dans l’arbre, puis m’étant assuré de la prise, je grimpais comme un singe, les
mains tirant la corde, les pieds bien plaqués contre le tronc. Quand la corde
s’écartait trop du tronc car le grappin s’était accroché à une branche
latérale, je montais à l’aide de la corde seule, à une vitesse étonnante, étant
à la fois léger, nerveux et le vertige m’étant tout à plein déconnu. Parvenu à
la branche, je la saisissais des deux mains, et d’un coup de reins énergique,
effectuais une prompte rotation du corps pour me rétablir, puis me mettais à
courir sur elle au risque de me rompre le col. Je devins à ce jeu plus habile
que quiconque et nul de mes frères n’aurait songé à me suivre dans de pareils
périls quand, à la saison des noix, je grimpais à des hauteurs vertigineuses
pour remplir le panier.
    Dès qu’on me jugea apte à le faire, je fus intégré au reste
de la fratrie et, quittant à regret mes chiens-compagnons, je découvris la
dureté du labeur de la ferme. Mes parents, acquis à la religion réformée,
avaient une haute idée de l’effort et du travail et, sévères sur ce point, ne
manquaient pas de nous en inculquer les principes salvateurs. Mais j’avais
l’énergie nécessaire, ne rechignant pas à la besogne, ce qui était aussi le lot
de mes frères et sœurs, si bien que le labour, le tirage de l’eau et le ramassage
du bois, la cuisson du pain, les façons du potager, la récolte des noix et des
châtaignes et tous ces innombrables travaux s’accomplissaient journellement
dans une belle union fraternelle.
     
    Hélas, lecteur, vous savez tout aussi bien que moi que
l’existence ne peut couler toujours dans le bonheur et qu’à notre grand dam la
malfortune s’y invite souvent. Celle-ci frappa une première fois alors que je
devais avoir environ onze ans, au mois d’octobre.
    Elle vint traîtreusement par nos chiens dont nous ne nous
gardions guère, moi le premier qui voyais en eux une protection incomparable
contre tous les dangers extérieurs. Et nous ne prêtâmes aucune attention à ce
qui aurait dû nous alerter, une agitation inhabituelle dans la petite meute,
des hurlades sauvages, une agressivité soudaine où les crocs se découvrent sans
raison apparente. Ce qui se produisait nous ne le comprimes que trop tard, et à
nos dépens, tant il est vrai qu’il est presque
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