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Duel de dames

Duel de dames

Titel: Duel de dames
Autoren: Chantal Touzet
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1
À l’enseigne de la Fleur de lys
    Je parle à toi, sot fanatique,
    Qui te dis et nommes en pratique
    Alchimiste et bon philosophe :
    Et tu n’as savoir ni étoffe,
    Ni théorique, ni science
    De l’art, ni de la connaissance.
    Pauvre homme tu t’abuses bien,
    Par ce chemin ne feras rien.
    Roman de la Rose : complainte de Nature à
l’alchimiste errant,
    Jean de Meung [1]
    Le Trou Punais, le Four d’Enfer, la
Vallée-de-Misère, la rue Merderet, de la Triperie, Trop-va-qui-dure, de la
Tuerie, de l’Écorcherie, de la Truie-qui-file, ruelles étroites, fétides, hépatiques,
corrompues du sang des bestiaux, où la pestilence n’abandonne jamais, même en
cette aube froide de février 1390, quatrième jour du mois, jour de la
Sainte-Agathe. Quartier des bouchers, des Lombards, de l’argent, des lupanars
et de la violence.
    La Grande Boucherie, à l’ombre septentrionale du
Grand Châtelet.
     
    Des yeux observent, surprenants de jeunesse et d’intelligence
dans un visage mafflu, dévoré par une barbe exubérante, givrée à l’hiver des
ans.
    Ils observent l’apparition d’un homme et d’une
femme qui viennent de déboucher à l’angle de la rue des Arcis pour emprunter la
rue des Écrivains. Elle est juchée en amazone sur une mule, embronchée d’une
vaste houppelande de laine qui l’enveloppe jusqu’à la croupe de sa monture. L’homme,
de même, porte un manteau qui le dissimule, il est à pied, tient la mule au
mors, comme Joseph conduisant Marie en Judée, à Bethléem.
    Les fers de l’animal tintent singulièrement dans
le silence étale d’une aurore aigrelette ; l’ombre se fait laiteuse, la
nuit cède le pas ; le clocher de l’église Saint-Jacques sonne haute prime
dans l’air glacé.
    Les paupières fripées se plissent en un rire muet,
rien n’échappe à l’acuité du voyeur. En cet équipage, point de couple biblique,
sous la pèlerine se devine une épée qui bat le flanc de l’écuyer, trahissant le
chevalier. Puis la femme détourne brièvement la tête en direction d’un calvaire
accolé à l’église, la lanterne y est encore vive et accroche son regard à
travers le foisonnement de petit vair qui borde sa capuche. Il surprend alors
une étincelle fugace, violette. Il connaît ce regard-là qui recèle le feu de l’améthyste
frappée par un éclat de soleil.
    Au même moment, une dizaine de mendiants s’agglutinèrent
autour du couple, piaillant à l’aumône, s’agrippant aux harnais et aux
vêtements comme griffes d’un roncier. La réaction du chevalier fut fulgurante
et redoutable, il les repoussa tour à tour avec une violence inouïe, les gueux
roulèrent sur le pavé, torchonnés dans leurs loques pouilleuses. Mais la misère
fut promptement debout, braquemart au poing. Rejetant son manteau, l’homme tira
l’épée de son fourreau en hurlant :
    — Montjoie Isabelle !
    Aussitôt, sortie de nulle part, se matérialisa une
horde armée, menée par un diable rugissant, à l’allure de colosse, au visage
carré grêlé par la petite vérole. Il faisait tournoyer au-dessus de sa tête le
redoutable fléau d’arme qui vous décervelait la tête comme une noix. Surprise, la
ribaudaille se retourna, les attaquants étaient déjà sur eux ; un gueux
poussa un hurlement rauque, embroché en pleine poitrine, une dague enfoncée
jusqu’à la garde, il tomba et se convulsa sur le carreau, vomissant le sang. Les
autres jetèrent aussitôt leur couteau en signe de soumission, et furent quittes
à se laisser rosser tout en cherchant à fuir. Cris et tumulte affolèrent la
mule qui se mit à ruer, queue dressée, bouche retroussée sur des braiments aux
dents jaunes. La femme s’y cramponnait comme elle pouvait, son capuchon glissa,
découvrant un admirable visage mangé d’immenses yeux sombres, un visage de
madone d’une grande jeunesse. Comme elle allait choir, son compagnon l’enleva à
bras-le-corps, laissant filer la monture rétive. Au passage, la mule atteignit
d’une dernière ruade le dos d’un ruffian qui s’affala sur le pavé, les reins
brisés. Les autres s’égaillaient dans les ruelles, poursuivis par leurs
assaillants.
    Dès le début de la rixe, l’observateur s’était
prudemment rencogné dans la pénombre du portail de la Pierre-au-Lait de l’église
de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, d’où il ne perdait rien du spectacle. Ce n’était
pas la violence qui l’intéressait, trop familière aux paroissiens du quartier,
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