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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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de les tuer, elle et Furcy. Elle avait eu peur pour son
fils. Elle aurait pu intenter un procès mais, faute de moyens,
elle s’était abstenue. « Madeleine opposa le silence à l’injustice. » Cette belle
phrase, j’aurais voulu l’écrire, elle est de Gilbert Boucher, le
procureur général de Bourbon, qui se saisirait de l’affaire. Elle
figure dans le volumineux dossier que j’ai retrouvé. Il a dit
exactement ceci : « Éconduite dans sa demande, repousséeavec colère, intimidée par les propos menaçants de Lory et
craignant de voir rejaillir sur son malheureux fils les effets de
la colère, Madeleine n’insista point. Elle opposa le silence à
l’injustice, emportant l’espérance que tôt ou tard on ferait droit
à sa réclamation. » Malgré une vie de soumission, elle n’était donc pas aussi
faible que Constance pouvait le penser. Je me demande qui
aurait pu se battre autant qu’elle, qui aurait eu son courage
dans cette situation-là, qui se serait confronté à des notables
disposant de toutes les armes ? C’est grâce à ce dossier qu’elle
avait méticuleusement rassemblé sans savoir lire que des
années plus tard son fils avait pu appeler la justice au secours ;
quand on est analphabète, on sait mieux que personne la valeur
des papiers, on les range soigneusement en les visualisant bien.
Certaines personnes qui ne savent pas lire sont capables de
retrouver n’importe quel document administratif des années
après l’avoir reçu. À la lecture des documents, Constance, un peu déstabilisée
par la découverte, décida d’aller voir sur-le-champ son cousin
Adolphe Duperrier, « un libre de couleur », lui aussi. Quand il lut l’acte d’affranchissement, Adolphe eut la même
réaction que Constance, il crut à une erreur. Mais il était bien
question de Madeleine. Et puis il s’agissait de Mme Routier, il
n’y avait pas de doute. Adolphe calma Constance qui voulait
se rendre dans l’heure chez Lory pour retrouver Furcy dans sa
case. Ils décidèrent d’attendre la nuit suivante. « Cela veut dire que tu es libre, Furcy. Tu avais trois ans
quand notre mère a été affranchie. Je ne comprends pas pourquoi elle ne nous en a jamais parlé. Je ne comprends pas. »
Constance était essoufflée. Elle prit une respiration, puisajouta : « Maintenant, il faut réclamer ta liberté. Tu es libre. Tu
l’as toujours été. » Furcy regarda sa sœur, et lui prit les deux mains entre les
siennes, sans dire un mot. Constance possède un nom — Mme Jean-Baptiste —, tout
comme son cousin libre, Adolphe Duperrier. Pas Furcy. Je n’ai
fait le lien que tardivement : quand on veut priver un homme
de liberté, on lui ôte toute identité. On n’est rien quand on n’a
pas de nom. La ville de Saint-Denis n’était pas si grande. Constance
croisa Joseph Lory, un samedi en fin de matinée rue Royale.
C’est lui qui vint vers elle et l’aborda sans même un mot de
courtoisie, nerveux et agité comme lors d’un combat de coqs : « Si vous nous donnez quittance des dix-neuf années d’indemnités qu’on devait à votre mère, je vous promets de libérer
Furcy dans les deux ans, je dois partir en France, je l’affranchirai, et je lui remettrai une somme de 4 000 francs pour
moyen de sa subsistance. — Et pourquoi je vous ferais confiance ? — Parce qu’il vaut mieux un bon arrangement qu’un mauvais procès. » Constance hésitait. Cela irait tellement plus vite. Et puis elle
n’avait pas les moyens d’engager les frais pour un avocat. Il
faudrait voir avec son frère. Rentrant chez elle, au Champ
Borne, à Saint-André, elle reprit d’abord la lecture du dossier,
pièce par pièce : surtout ne rien rater. C’est ainsi qu’elle découvrit que la famille Lory-Routier avait déjà manqué par deux
fois à sa promesse. C’était décidé, Furcy et elle iraient au tribunal, quoi qu’il en coûte.

7
    Le 2 octobre 1817, avec l’aide de sa sœur, Furcy s’adressa
au procureur général de la Cour royale de Saint-Denis, Gilbert
Boucher, qui venait à peine de s’installer à Bourbon. Le procureur n’avait pas eu le temps d’examiner le dossier, volumineux dit-il. Et puis sa femme venait d’accoucher. Il le renvoya à son jeune substitut, Jacques Sully-Brunet. Lui-même
dit être très occupé. Mais il accepta de recevoir l’esclave
quelques minutes, c’était déjà considérable. Furcy prononça
ces paroles : « Je me nomme Furcy. Je suis né libre dans la
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