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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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1
    Le soleil clément ajoutait à la douceur du monde. Furcy
aimait tout particulièrement ces instants paisibles et libres,
quand la forêt appelait au silence. Pas un bruit... Juste, au loin,
la musique d’une rivière. Le calme fut rompu par le pépiement
effrayé d’une nuée d’oiseaux qui s’envolèrent d’un trait. Puis
il entendit le hurlement de chiens qui se rapprochaient. L’homme noir courait à perdre haleine, ses yeux grands
ouverts disaient la terreur. Le torse nu, il transpirait comme
s’il pleuvait sur lui. Son pantalon de toile bleue était déchiré
jusqu’aux cuisses. Il boitait. Dans son regard, on lisait la certitude qu’il n’arriverait pas à s’échapper, la peur de la mort.
Son souffle s’épuisait à chaque pas. Il pouvait tenir encore un
peu, un tout petit peu, jusqu’à la Rivière-des-Pluies qu’il
connaissait par cœur, et qui pouvait le guider vers la montagne
Cimandef, puis à Cilaos, le refuge des esclaves en fuite. Avec
les pluies diluviennes de la semaine passée, il suffirait de se
laisser dériver en restant bien au milieu de la rivière, et environ
cinq kilomètres plus bas, s’arrêter sans forcer, près d’un rocher
qui faisait contre-courant — d’autres l’avaient déjà fait, ce
devait être l’affaire d’une heure, tout au plus, avant d’arriver
au pied de la montagne. À une vingtaine de mètres derrière lui, deux énormes chiens,
la bave aux lèvres, le poursuivaient. Pour leur donner plus de
hargne, on les avait affamés. Ces bêtes étaient suivies de loin
par trois hommes : deux blancs coiffés d’un chapeau de paille
qui portaient un fusil — des chasseurs de chèvres sauvages
et d’esclaves — et un noir, tête nue. Ils semblaient assurés
d’arriver à leur fin. Il restait moins de cinq mètres à courir pour pouvoir plonger
dans la rivière. C’était encore trop. Au moment où l’esclave
allait mettre un pied dans l’eau, il trébucha. Un chien sauta sur
lui et mordit sa cuisse droite, tétanisant tous les muscles de
son corps. Le deuxième chien le prit à la gorge alors qu’il se
débattait. On entendit un cri lourd. Au loin, les deux blancs sourirent. Ils ralentirent le pas,
comme pour apprécier davantage le malheur de leur proie
et laisser les chiens terminer leur besogne. Le noir qui les
accompagnait baissa la tête. Furcy, aussi, avait entendu le cri. Il se trouvait de l’autre
côté de la Rivière-des-Pluies. Dissimulé derrière un pied de
litchi, il avait tout vu. Il restait figé. Depuis sa cachette, il avait
remarqué une fleur de lis tatouée sur chaque épaule du fuyard
allongé, ses oreilles et son jarret étaient coupés. Ces deux
mutilations signifiaient qu’il avait déjà tenté de fuir à deux
reprises. Quand les deux hommes arrivèrent près de l’esclave
agonisant, ils marquèrent un temps, se regardèrent, puis le
prirent chacun d’un côté. Ils le jetèrent dans la rivière. Et
s’essuyèrent les mains. Le corps moribond flottait comme un
bout de bois au gré du courant qui était fort ce jour-là. « C’est l’ordre de M. Lory, dit le premier, un marron qui ne
peut plus travailler constitue une charge trop lourde. Et la troisième fois, c’est la condamnation à mort. De toute façon, Loryl’aurait battu à mort, tu le connais. » L’autre acquiesça en clignant simplement des yeux. Le premier chasseur sortit un carnet de sa besace, avec un
crayon qu’il mouilla de ses lèvres, il inscrivit : « Capturé / mort
/ à la Rivière-des-Pluies / le nègre marron Samuel appartenant
à M. Desbassayns et loué au sieur Joseph Lory, habitant de
Saint-Denis / 30 francs à recevoir / 4 août 1817. » Il referma
son carnet, satisfait. Puis, il donna quatre sous au noir en
récompense du renseignement qu’il avait fourni pour repérer
Samuel. Dans la tête de Furcy, le cri continuait de résonner. Les faits de ce genre étaient fréquents à l’île Bourbon.
J’aurais pu vous décrire la scène où un esclave fut brûlé vif par
sa maîtresse furieuse parce qu’il avait raté la cuisson d’une
pâtisserie. Et raconter l’histoire de ce propriétaire qui, apprenant que son épouse avait couché avec son domestique noir, fit
creuser un trou et laissa mourir l’amant — alors que tout le
monde connaissait cette femme dont on disait que le démon
avait saisi son bas-ventre. Il n’était pas rare, non plus, de voir
des esclaves si maltraités qu’ils en devenaient handicapés.
D’autres avaient
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