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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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moins de chance, ils mouraient à force de
tortures, puis on les enterrait dans le petit bois comme on
enterre une bête — sur les registres, on les déclarait en fuite.
Certains préféraient se suicider pour en finir plus rapidement
avec un sort funeste... Ainsi allait la vie quotidienne dans les habitations bourbonnaises en ce début du XIX e siècle.

2
    M. Joseph Lory avait invité Auguste Billiard à sa table, l’une
des plus courues de Saint-Denis, autant dire de toute l’île : on
n’y recevait que des gens d’importance. Billiard en éprouvait
de la fierté, et disait à qui voulait l’entendre qu’il ambitionnait
de devenir le député de Bourbon — des trois candidats, il était
le favori. Il venait de Bretagne, et avait effectué une série de
voyages pour observer les dysfonctionnements de l’administration coloniale et proposer des solutions dont il était certain
qu’elles seraient approuvées en haut lieu, à Paris. Billiard s’était vite renseigné sur les codes en usage dans la
région. À Bourbon, une sorte de hiérarchie des réceptions
s’était établie. Comment serait-il considéré ? S’il était accueilli
à la terrasse située dans le jardin avant l’entrée, c’est qu’on
voulait seulement l’impressionner. S’il était convié à se diriger
vers la varangue, c’est-à-dire de l’autre côté de la maison — le
côté intime, moins spectaculaire, mais bien plus important —,
c’est qu’il faisait presque partie de la famille (c’est là que les
mariages commençaient de se nouer). Joseph Lory n’avait pas
voulu prendre de risque : il avait opté pour la varangue, après
avoir fait visiter la propriété à son hôte. Billiard était bavard, on n’entendait que lui. Il avait unbesoin obsessionnel de donner son avis sur toute chose et de
faire partager ses réflexions qu’il introduisait par la formule
« Vous n’êtes pas sans l’ignorer... » ou sa variante « Vous
savez... ». Le genre d’homme qui, dès qu’il avait lu quelques
pages sur un sujet, s’en proclamait aussitôt expert. Il était inutile de le relancer. Joseph Lory avait exigé que son domestique Lucien reste
pour assurer le bon déroulement du dîner. Furcy avait proposé
de prendre sa place, il savait que le samedi soir Lucien rejoignait Adrienne à Saint-André. L’horloge affichait minuit, le ciel était noir et étoilé. Il faisait
doux sous la varangue. Billiard s’extasiait à chaque nouveau
plat et exigeait des explications, il faut dire que Lory avait tenu
à servir son dîner préféré : un menu composé d’un potage à la
tortue, de faisans de Pondichéry, d’un carry de buffle de Madagascar et d’une magistrale corbeille de fruits dont l’invité ne
pouvait s’empêcher de toucher les plus beaux, posant des
questions sur leur provenance. Le repas traînait en longueur, à
cause des bavardages de Billiard. Il disait entreprendre la
rédaction d’un récit de voyages, il hésitait, pour le titre, entre
« Souvenirs des îles de France et de Bourbon » et « Voyage
aux colonies orientales ». Il mourait d’envie de démonter les
théories de l’académicien Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre pour lequel il éprouvait le plus profond mépris, du
mépris pour l’homme et pour son œuvre, notamment les deux
volumes de son Voyage en île de France et à l’île Bourbon. Il
jugeait la renommée de l’auteur de Paul et Virginie usurpée et
pensait que, lui, il réaliserait un bien meilleur travail. Furcy ne supportait plus les paroles de cet homme imbu de
sa personne, il parlait devant lui comme s’il était invisible.
Pourtant, il lui faisait presque face. « Les esclaves, s’exclamait Auguste Billiard en attrapant unmorceau de mangue, oh, vous n’êtes pas sans ignorer que leur
plus grand bonheur est dans l’oisiveté. Les domestiques noirs
ont en général plus de temps que n’en ont les maîtres pour se
reposer, n’est-ce pas monsieur Lory ? » Ce dernier ne répondit pas. En verve, et sans contradicteur,
l’invité, qui avait dû voir un noir pour la première fois de sa
vie moins de trois mois auparavant, ajoutait : « On peut dire que le mot esclave est synonyme de voleur,
de paresseux et de menteur. Montesquieu nous en a dit la
raison, il y a parmi eux beaucoup d’exemples de vices. Je
regrette que le vol que commet l’esclave ne soit pas réprimé
comme un crime, mais comme une simple contravention de
police. Il ne reçoit que
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