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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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on les attache,
par les pieds et par les mains, sur une
échelle ; le commandeur, armé d’un fouet
de poste, leur donne sur le derrière nu
cinquante, cent, et jusqu’à deux cents
coups. Chaque coup enlève une portion de
peau. Ensuite on détache le misérable tout
sanglant ; on lui met au cou un collier de
fer à trois pointes, et on le ramène au travail. Il y en a qui sont plus d’un mois
avant d’être en état de s’asseoir. Les
femmes sont punies de la même manière.
    Extrait de Voyage à l’île de France,
à l’île Bourbon et au cap de Bonne-Espérance ,
de Bernardin de Saint-Pierre, 1773.

6
    Constance ne fut pas autorisée à garder les vêtements que sa
mère lui avait laissés. Des trois malles, elle ne put conserver
que la plus petite, celle emplie de papiers qui ne servaient
à rien. Elle avait souri au souvenir de la manie de sa mère qui
conservait tout ce qui était imprimé. Comme Madeleine ne
savait pas lire, elle éprouvait un respect, une sorte de vénération, pour tout ce qui était écrit. Constance n’aimait pas
Mme Routier, et encore moins son neveu, Joseph Lory. Malgré ses quarante ans — et six grossesses —, Constance
avait toujours de l’allure, et beaucoup l’admiraient. Elle était
ce qu’on appelle une « femme de couleur libre ». On disait
« femme de couleur » alors qu’elle avait la peau plus claire
que certains colons. Son visage affichait cette grâce que l’on
rencontre sous les plus beaux traits des femmes de l’Inde ; et,
pourtant, on devinait en elle quelque chose d’européen.
Constance était lumineuse avec ses yeux clairs et ses lèvres
rouges délicieusement dessinées. Ses cheveux bruns et ondulés,
comme ceux de sa mère, tombaient presque au niveau des
reins. Mais à la différence de sa mère, elle montrait plus de
fermeté, presque de la dureté, dans son expression — uneexpression qui réussissait à tenir à distance certains hommes
présomptueux, surtout depuis la brutale disparition de son
mari, M. Georges Jean-Baptiste. De sa mère, elle avait aussi
hérité ce talent pour confectionner des vêtements. Grâce à
cela, elle s’habillait avec simplicité et une touche d’élégance
discrète. En revanche, elle refusait viscéralement de partager cette
résignation qui était si bien ancrée dans l’esprit de sa mère,
cette fatalité qui empêchait tout désir de changer le cours d’une
vie : « C’est la volonté de Dieu », affirmait Madeleine. Combien de fois avait-elle entendu cette phrase ? Constance s’en
irritait, et toujours Madeleine tentait de calmer les ardeurs de
sa fille en lui disant que leur existence en valait bien une autre,
que Furcy s’était remarquablement élevé dans la société maintenant qu’il était maître d’hôtel dans l’habitation de Lory, qu’il
était même le compagnon d’une femme libre, Célérine — l’on
voit que la période était décidément complexe puisqu’un
esclave pouvait être le compagnon d’une femme libre. Quand M. Jean-Baptiste était encore vivant, Constance, avec
l’appui de son époux, rêvait de pouvoir racheter et sa mère et
son frère. Mais les prix montaient d’année en année, et Lory
était redoutable dès qu’il s’agissait d’argent. C’était peut-être
pour cela qu’elle n’arrivait pas à être triste à l’idée d’avoir
perdu sa mère ; elle s’était surprise à penser que Madeleine, à
présent, était enfin libérée. Dans la terminologie usitée à l’époque, Constance était qualifiée de « quarteronne », c’est-à-dire qu’elle était une esclave
issue de l’union d’un blanc et d’une sang-mêlé. Mulâtre,
marron, quarteron... tous ces termes avaient été créés pour
désigner des animaux. Après la mort de son mari, Constance avait dû élever seule
ses six enfants. Certains dimanches, Furcy et Célérine se rendaient à Saint-André, au Champ Borne, où habitait Constance,
face à l’océan. Ils l’aidaient dans ses tâches difficiles. Georges Jean-Baptiste était un homme croyant et généreux,
il avait tenu à ce que sa femme apprenne à lire. Il avait dix-huit
ans de plus qu’elle, et lui affirmait souvent : « Notre époque
appartient à ceux qui savent lire et écrire. Ma chère épouse, je
ne te laisserai pas de fortune, et j’en suis affecté. Mais je te
transmettrai au moins ce peu d’instruction que j’ai acquise. »
Elle signait toujours « Constance, veuve Jean-Baptiste ». À
son
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