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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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maison Routier, fils de Madeleine, Indienne libre, alors au service de cette
famille. Je suis retenu à titre d’esclave chez Monsieur Lory,
gendre de Madame Routier. Je réclame ma liberté : voici mes
papiers. » Après ces mots, Furcy déposa sur le bureau de Sully-Brunet
un lourd dossier tenu par deux ficelles. Sully-Brunet fut surpris par l’aisance de Furcy, il trouva ce Malabar jeune, beau,
intelligent, comme il l’écrirait un jour dans ses Mémoires destinés à son fils. Le jeune substitut Jacques Sully-Brunet prit la peine de jeter
un coup d’œil aux nombreux papiers. La lecture du dossier
secoua le jeune homme qui sortait à peine de l’école de la
magistrature ; il venait d’avoir vingt-deux ans. L’injustice de la
situation le bouleversa : comment pouvait-on asservir un
homme alors qu’il était libre ? Comment pouvait-on nier à ce
point le droit ? Chose inimaginable, ce garçon allait lancer un
véritable pavé dans la mare. Il écrivit au procureur général
cette phrase qui allait tout déclencher : « Je pense que l’affaire
est de nature à être soutenue en justice. » Sully-Brunet tint à
souligner qu’il agissait en son âme et conscience. Il s’appuyait
sur un règlement datant de quelques années, et sur le fait que
la mère de Furcy était indienne, et affranchie. Dans ce domaine
il existait une dizaine de lois se contredisant les unes les autres.
Sully-Brunet aurait pu n’en rien faire et rester tranquille, il
avait choisi de lancer « l’affaire de l’esclave Furcy ». Bien que respectueux du droit, Sully-Brunet était de ces
citoyens qui ne pensent pas qu’un noir est un « sous-homme »
ou un « meuble » que l’on se transmet de père en fils comme
l’indiquait alors la juridiction. Le jeune magistrat dénicha un
article de loi qui permettait à l’esclave de recourir gratuitement à un défenseur. Cette démarche allait lui coûter cher.

8
    Qu’est-ce qui pousse un homme à tendre la main à un autre ?
Un regard, une pensée suffit parfois. Presque rien. Gilbert Boucher n’hésita pas une seconde. Et, pourtant, le risque était réel
de tout perdre, de compromettre ce qu’il avait mis une vie à
construire : sa carrière, sa famille, l’avenir de ses enfants, et
aussi une multitude de petites choses qui n’ont de valeur que
lorsqu’on ne les possède plus. Gilbert Boucher n’avait pas
réfléchi, il fallait aider Furcy, et c’était tout. Était-ce le regard
calme de l’esclave qui avait tout déclenché ? Peut-être. Il fallait
lui donner toutes les chances de remporter ce procès qui semblait perdu d’avance. Par moments, le doute traversait l’esprit
du procureur général. Pas pour son compte — jamais —, mais
pour celui de Furcy : n’était-il pas en train de gâcher l’existence de cet homme, fût-il esclave ? Boucher consultait les pièces du dossier dans son bureau au
moment où Sully-Brunet arriva. Il dit simplement à son substitut : « Furcy a besoin de notre soutien, il faut l’aider à monter
une argumentation solide. » Ils vérifièrent le moindre article
de loi et passèrent en revue tous les papiers de Madeleine et
le mémoire qui avait été rédigé en 1809, en pensant y découvrir le détail qui ferait basculer le jugement. L’ensemble était
complexe — les réglementations se contredisaient parfois —
mais semblait sérieux ; par chance pour l’esclave, le dossier
contenait de nombreux arguments en sa faveur. Mais Boucher,
en homme d’expérience, le savait : la loi n’est pas toujours
juste. La soirée de travail avait été longue, ils avaient terminé
après 22 heures ; plus précisément Boucher avait demandé à
Sully-Brunet de partir à 22 heures tandis que lui continuait
pendant une heure encore à peaufiner les pièces de ce qui allait
être « l’affaire de l’esclave Furcy », et à y mettre de l’ordre.
Les deux hommes s’étaient donné rendez-vous le lendemain
en début d’après-midi pour se rendre rue des Prêtres, chez
Célérine, la compagne de Furcy. Les deux hommes blancs, à l’allure bourgeoise, qui se rendirent rue des Prêtres, à Saint-Denis, ne passèrent pas inaperçus. Dans la maison de Célérine, se trouvaient sa fille Clémentine qu’elle avait eue avec Duverger, Constance et son fils
aîné, le cousin Adolphe, et Furcy. Célérine invita Boucher et
Sully-Brunet à s’asseoir autour de la table. Furcy se tenait
debout, à l’écart, mais pas trop
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