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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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chargerai.
    Bien qu’ennuyée, Sophie ne comprit pas vraiment la gravité du ton de l’officier. Elle n’avait rien fait de si terrible. Se promener sans avertir la terre entière, ça n’était pas indécent. Elle fulminait surtout après Béatrice qui avait donné cette alerte imbécile. Qu’est-ce qu’il lui avait pris ?
    L’officier la devança. Ils descendirent un escalier, longèrent deux coursives puis un autre escalier, encore une coursive, et ils se retrouvèrent sur un pont. Le vent frais les surprit et fouetta leurs visages. Le France avait atteint la haute mer, et l’air avait nettement changé de température. A cette heure, le pont était désert, les passagers étaient tous dans leurs cabines et se préparaient pour le dîner. Il n’y avait plus que le navire et l’océan, immense, sombre et mouvant dans ce soir qui tombait. En découvrant les eaux noires, Sophie sentit le sol se dérober sous ses pieds. L’officier ne s’aperçut de rien, il marchait d’un bon pas. Elle parvint tant bien que mal à se reprendre, s’accrocha à la balustrade et le suivit jusqu’à une porte. Derrière, un escalier menait à une autre coursive. Là seulement, elle respira.
    — Votre cabine est la première sur la gauche, dit-il en se retournant. Vous avez la clé ?
    Sophie plongea la main dans son sac et en sortit la clé que le groom lui avait remise quatre heures plus tôt. Elle était toute pâle. Il tint alors à la rassurer, pensant que son malaise était dû à l’émotion d’avoir créé du dérangement. Il lui affirma que tous seraient comblés de cette issue heureuse et lui transmit par avance la sympathie de tout le personnel. Il dit avoir du reste peut-être exagéré en lui faisant part du problème qu’elle avait créé, mais qu’il voulait seulement lui montrer combien la vie est différente sur un navire et combien il faut être vigilant.
    Sophie le regardait et oubliait sa peur de l’océan. Elle se demandait à nouveau où elle pouvait avoir vu son visage. L’officier avait l’élocution précise et élaborée des élèves de grandes écoles qui ont grandi dans des familles cultivées. Elle devinait sa longue fréquentation des classiques. Il avait l’aisance et l’assurance de ceux qui ne doutent pas, puisqu’ils n’ont jamais échoué. Sa façon de se tenir et d’être ne dégageait pourtant aucun orgueil, aucune ambiguïté. Il était juste un officier au service d’un navire et de ses passagers. Du moins c’est ainsi qu’elle le ressentit à cet instant.
    — On arrive à Southampton dans deux heures environ, dit-il alors. Je vous conseille d’assister à l’arrivée nocturne sur les ponts. On parle beaucoup de celle de New York, moi je trouve celle-ci bien plus... bien plus...
    Curieusement, lui qui s’exprimait jusqu’alors avec tant d’aisance, ne trouva pas le mot juste. Comme, malgré l’attente, ce mot ne venait toujours pas, Sophie fit un vague signe qui pouvait passer pour un acquiescement et c’est sur cette confidence inattendue et inaboutie d’un sentiment personnel qu’il s’inclina, et partit.

 
    6
    Les lumières scintillèrent les unes après les autres.
    Dans la nuit, les grandes lettres du mot FRANCE se détachaient sur le fond de ciel sombre et, derrière la proue, tout en haut comme une vigie, la large bande éclairée des vitres panoramiques de la timonerie laissait deviner les silhouettes attentives des officiers et des marins du quart. Enfin, petit à petit, au gré du vagabondage des passagers, les cabines s’éclairèrent et dessinèrent bientôt dans la nuit l’élégante ligne des ponts.
    Sûr de son élégance et de ses forces, le France fendait l’océan glacial de cet hiver 1962 et s’enfonçait dans la nuit avec trois mille personnes à son bord.

 
    7
    — Qu’est-ce que je vais me mettre ? Je ne sais pas quoi mettre.
    Sophie tenait contre elle une petite robe noire pendue sur un cintre et se dandinait devant la glace en pied pour juger de l’effet. Il fallait être au mieux pour le dîner. De son autre main libre elle tenait un autre cintre avec une robe cousue dans un fin lainage rose vif, courte et de forme trapèze. Sophie avait demandé à sa couturière de copier ce modèle Courrèges paru dans Vogue, juste avant le départ. Le rose était très vif et très in comme on disait pour être dans le coup. Le vendeur avait précisé :
    — C’est le rose shocking, on vient juste de le recevoir. Il fait fureur,
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