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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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incroyable savoir-faire et une immense confiance dans l’avenir !
    Cet Académicien n’est qu’un rabat-joie, se dit-elle. Comme ces vieux qui pensent avoir tout vu et ressassent leurs propres rancoeurs.
    Elle reprit sa place dans la file et l’oublia qui bougonnait encore dans son dos. Les cheminées rouges de la Transatlantique claquaient sur le ciel bleu. Le navire étincelait sous le soleil. Il affichait le noir brillant et la blancheur immaculée de sa ligne exceptionnelle. Un géant !
    Une masse impressionnante d’une légèreté absolue. Le plus beau bateau du monde ! Sur le quai du Havre, on ne s’entendait plus, tout le monde criait et pleurait de joie, l’exaltation était à son comble. Émerveillée, Sophie ferma les yeux pour garder en elle la force de cet instant. Ce voyage allait être magnifique. Elle en avait la certitude.

 
    3
    — Tu as vu, Andrei, ils sont tous sur leur trente-et-un. Comme nous.
    Bien droit, les mains fièrement enfoncées dans les poches de son bleu de travail impeccable, Gérard rayonnait. Ému, il donna une bourrade amicale au camarade qui se tenait près de lui et qui observait, fasciné, l’incroyable libération d’enthousiasme que ce premier départ du France soulevait sur le quai du Havre.
    — Cette fois, Andrei, dit Gérard, la voix nouée par l’émotion, je sens que c’est la bonne ! Les anciens ont ramé toute leur vie sur des docks et des cargos pourris, mais nous, on rattrape le coup. On ne s’est pas battus pour rien ! Le France, c’est ce qui pouvait nous arriver de mieux.
    Il en avait les larmes aux yeux. Toute cette joie sur le quai, ces camarades qui étaient venus de Saint-Nazaire et de toute la France pour accompagner le chef-d’oeuvre des chantiers navals français, ça le remuait jusqu’au plus profond du coeur. Le France, c’était leur bateau. Le sien et celui de ses copains-là en bas sur le quai qui ne partiraient pas pour ce grand voyage mais qui applaudissaient et pleuraient de joie avec les femmes et les enfants. Il avait fallu des années de savoir, d’intelligence et de volonté pour que le France soit tel qu’il était là. Les hommes des chantiers de l’Atlantique avaient réalisé ce rêve, ils étaient les magiciens de la profession et, en cet instant plus que jamais, Gérard et Andrei étaient fiers d’appartenir à cette lignée. Leurs regards francs avaient la force de ceux qui se savent à leur juste place, légitimes. Andrei parlait peu, il écoutait Gérard. Il aimait sentir l’émotion de son ami, un hypersensible qui ne pouvait s’empêcher d’exprimer tout ce qu’il ressentait. Le bonheur comme le malheur atteignaient toujours Gérard de plein fouet et le mettaient à fleur de peau.
    À l’arrêt des machines, ils étaient sortis fumer une cigarette et regarder embarquer la longue file des passagers. Conscients du privilège qui était le leur de faire partie de l’équipage du France, ils profitaient du spectacle, debout dans l’ouverture d’une porte juste au-dessus de la ligne de flottaison, au bord du vide. Personne ne faisait attention à eux tant ils paraissaient minuscules, perdus dans le gigantisme de la coque. En se penchant et en levant le nez, Andrei pouvait deviner sur le pont tout le personnel au garde-à-vous, les officiers de l’état-major dans leurs uniformes neufs. Le bateau lâchait de longues volutes blanches qui s’échappaient vers le ciel. Un faux mouvement et Andrei se serait fracassé dix mètres plus bas contre les câbles de fer et d’acier dans l’étroite bande d’eau entre la coque du navire et le quai. Mais Andrei ne tombait pas. Il était de cette race d’hommes aguerris aux dangers des ports, façonnés par une jeunesse passée à charger et décharger sur les docks des tonnes de containers soulevés par des grues dans un bruit d’enfer. Des containers qu’il fallait savoir guider au-dessus de sa tête sans penser au danger. Ou plutôt en l’ayant constamment à l’esprit. Ce qui l’avait rendu vigilant, et vif.
    — Allez, fit Gérard en jetant son mégot de cigarette et en se repliant vers l’intérieur du navire, viens, j’ai hâte de pousser les chaudières.
    Un sourire illumina le visage d’Andrei. Lui aussi voulait sentir la puissance du bateau sur la haute mer et vérifier sa tenue. Il aimait passionnément son travail. La mécanique du France était la plus innovante du monde et pour ce jeune homme arrivé de Russie en France à l’âge de dix
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