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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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pour un voyage, si prestigieux soit-il. En tout cas elle avait accepté ce qui s’offrait à elle par miracle, sans penser une seule seconde ni à la déception de ses collègues exaspérés d’être écartés à son profit, ni au fait qu’elle se retrouverait en haute mer. Car là il y avait un problème auquel elle n’avait pas du tout pensé. Si Sophie aimait les bords de mer vus de la plage, elle se baignait rarement.
    Elle détestait la sensation de ces quantités d’eau au-dessous d’elle, et elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer des méduses gluantes, des algues traîtresses, prêtes à la tirer vers le fond. Quant à traverser ces immensités liquides qu’on appelait les océans, ça ne lui serait jamais venu à l’idée. Sophie aimait les bateaux de loin, vus depuis la terre ferme. Or voilà qu’elle allait voguer pendant cinq jours et quatre nuits sur l’océan le plus grand, celui dont les courants inquiètent jusqu’aux plus courageux des marins : l’Atlantique Nord. Mais Béatrice revenait :
    — Bon, finalement il vaut mieux qu’on reste là. Les équipes de la télévision et de Paris-Match ont déjà leurs cabines, et comme nous n’avons pas encore les nôtres, mieux vaut ne pas s’entendre dire devant eux qu’il n’y a rien de prévu pour nous. Surtout qu’il y a ce photographe qui se prend pour je ne sais qui parce qu’il photographie les stars ! Tu parles d’une affaire !
    Béatrice avait échoué dans sa tentative d’intégrer le gotha et, comme toujours quand ça ne marchait pas, elle critiquait et intégrait Sophie, qui n’avait rien demandé, à sa démarche ratée.
    Deux mousses en habit rouge prirent leurs bagages et un autre leur ouvrit la porte d’un ascenseur qui ressemblait à une oeuvre d’art abstrait. Mais au lieu de monter, l’ascenseur descendit et, quand la porte se rouvrit, Béatrice se pressa aux côtés de Sophie.
    — Je te parie qu’ils nous ont mises en deuxième classe !
    — On parlera plus tard, attendons de voir, répondit à voix basse Sophie tout en suivant dans la coursive les jeunes grooms qui les conduisaient à leurs cabines.
    Le chemin fut long. Elles passèrent des portes, puis un escalier, puis une autre coursive. Béatrice n’en pouvait plus.
    — Tu n’as pas remarqué ? D’abord l’ascenseur est descendu d’au moins deux étages, et maintenant on n’en finit pas d’arriver.
    — Le bateau est grand, c’est normal.
    — En général, pour aller en première classe, on monte et on va vers l’avant. Ça paraît logique. Là, je suis sûre qu’ils nous emmènent vers l’arrière.
    — Ah oui ? répondit Sophie dont le sens de l’orientation était complètement chamboulé. Quelle idée ! Tu sais bien qu’il n’y a pas de classes sur ce navire.
    — Mais bien sûr que si ! Il y en a deux. Tu as vu la moquette ?
    — Quoi encore, la moquette ? dit Sophie qui commençait à être exaspérée par les sarcasmes de son amie. Elle est magnifique !
    — Oui. Mais elle est grise. Ce n’est pas bon signe, insista Béatrice. Dans le grand hall, je ne sais pas si tu as remarqué, elle était d’un rouge somptueux. Je suis sûre que la moquette de la première classe est rouge et, pour la distinguer, celle de la seconde est grise. C’est classique, tu vas voir.
    Sophie n’avait que faire de ce changement de couleur. Pour elle, non seulement les déductions de Béatrice étaient sans intérêt, mais, pire, elles frôlaient le ridicule. Parmi les innovations de ce navire qui avaient fait le plus de bruit, la disparition des classes traditionnelles était en première ligne. Première, deuxième, troisième classes ? Hop, disparues.
    Avec l’élévation générale du niveau de vie et la naissance d’une société de loisirs, ce début des années 1960 marquait un changement majeur des deux côtés de l’Atlantique. Comme ils étaient loin, les émigrants avec leurs pauvres baluchons qui laissaient tout derrière eux pour aller en Amérique convertir leur misère en dollars.
    À leur place étaient apparus les touristes. Et les constructeurs avaient suivi l’évolution sociale en préservant subtilement certains privilèges. Il y avait maintenant une première et une autre appelée « touriste ». Lors de la présentation du navire à la presse, tout cela avait été expliqué. Les constructeurs avaient la volonté d’aller plus loin dans leur souci de démocratisation en divisant non pas verticalement
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