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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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ans avec pour seul bagage une âme ravagée, se retrouver là, dans l’équipe de pointe chargée de manoeuvrer les rouages complexes de ce monstre d’acier, c’était de l’ordre du miracle !
    La foule sur le port criait de joie et levait les bras au ciel, il y avait des foulards qui bougeaient dans l’air bleu. Une bouffée de bonheur l’envahit. Il tira bien fort sur sa cigarette puis, d’une pichenette, il l’envoya voler dans les airs et la suivit des yeux. Elle tournoya contre le ciel, rougeoyante. Le soleil était si éblouissant ce jour-là que, lorsqu’elle fut au plus haut de sa course, il dut fermer les paupières. Plus que jamais Andrei aimait ce pays de France qui l’avait accueilli. Il balaya une dernière fois du regard les quais et la foule enthousiaste, il les aurait tous embrassés et serrés dans ses bras. D’un geste vif et du bout de son pouce, il se signa le front machinalement comme il avait toujours vu sa grand-mère le faire. Lui qui n’avait jamais fréquenté les églises ni connu les rituels des âmes pieuses, il avait emporté avec lui ce geste symbolique qui le ramenait là-bas, très loin, plus loin que la ville de Saint-Pétersbourg où il avait vécu, sur ces terres glacées des montagnes d’Oural où passent les troupeaux d’élans au doux pelage clair et où, dans des chaumières anciennes, des grands-mères au visage ridé cuisent des petits gâteaux ronds qui croquent sous la dent. Andrei se demandait parfois s’il n’avait pas rêvé ces moments de sa toute jeune vie, avant le départ dans la grande ville russe, avant la tragédie qui l’avait laissé orphelin. Et même pire, vide à jamais de tout espoir en ce monde d’humains.
    — Ho ! Tu arrives ?
    Gérard était déjà sur les chaudières et lui faisait signe de se dépêcher. L’équipe était en place, prête à répondre aux ordres de la timonerie. Andrei s’était juré de ne plus repenser au passé. Aujourd’hui que sa vie s’ouvrait à d’autres horizons, il lui semblait qu’enfin son coeur se remettait à battre et peut-être même à avoir le goût du bonheur. Il devait avoir la force d’oublier.
    — Je viens, dit-il pour rassurer Gérard.
    Il ferma la porte avec soin, en testa les verrouillages méticuleusement les uns après les autres et rejoignit son poste. Andrei ne se pressait jamais. Quelque chose en lui refusait la tension.
    Sur le quai, l’embarquement des passagers touchait à sa fin. Sophie, qui s’apprêtait à monter à son tour sur la passerelle, avait cru voir une cigarette tomber le long de son manteau et vérifiait que le fin cachemire n’était pas abîmé.
    — Décidément il va falloir pousser pour vous faire monter ! Apparemment, vous n’en voulez pas de ce départ !
    L’Académicien s’impatientait dans son dos. Contrariée par cette nouvelle intervention, Sophie s’aventura sur la passerelle en levant les yeux vers la monumentale coque noire du navire, si énorme qu’elle barrait toute visibilité. Face à cette masse impressionnante vue de si bas et d’aussi près, un léger vertige la prit.
    — Mon Dieu ! fit-elle en fermant les yeux.
    Puis, soucieuse de ne pas retarder davantage l’embarquement, elle les rouvrit aussitôt et découvrit le vide étroit et profond qui séparait le paquebot du quai et au-dessus duquel il lui fallait maintenant s’engager. Entre le bruit de la foule, la masse du bateau et la folie de ce moment incroyable, l’air était chargé d’électricité. C’est alors seulement que Sophie sembla prendre la mesure de ce qui se passait. Elle s’engageait sur un océan, elle allait flotter au-dessus de ces immensités d’eau glacée. La peur la gagna. Elle avait entendu parler de ce gigantesque paquebot que l’on disait insubmersible et qui avait sombré dans les eaux glaciales : le Titanic. Elle avait même lu un livre relatant dans le moindre détail les dernières heures de cette tragédie et vu des photographies de l’époque, des dessins évoquant le terrible naufrage. L’un revint à sa mémoire avec précision. Il montrait en coupe la taille dérisoire du paquebot en comparaison des profondeurs abyssales de l’océan sur lequel il voguait. À ce souvenir, elle vacilla et s’agrippa à la balustrade. Cet océan était l’Atlantique Nord. Celui-là même sur lequel elle partait.
    — Vous avez un malaise ? Ça ne va pas ? L’Académicien voyait bien qu’elle n’était pas dans son état normal.
    — Non,
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