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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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non, dit Sophie en se ressaisissant. Je crois que j’ai une petite indigestion depuis hier, ce n’est rien.
    Et sans plus attendre elle gravit la passerelle d’un pas résolu. Quand elle posa enfin le pied sur le France, son visage était blême, mais elle souriait comme si de rien n’était.

 
    4
    — Bienvenue !
    Alignés de chaque côté de l’entrée du navire, de jeunes mousses en habit rouge et noir avec de petits calots l’accueillirent avec un remarquable sens de la coordination juste avant qu’une hôtesse ne s’avance vers elle et ne l’entraîne à l’intérieur du hall d’embarquement. Sophie ne put retenir un cri d’émerveillement et porta les mains à son visage.
    — Mon Dieu ! fît-elle. Comme c’est beau !.
    Dans leurs uniformes blancs à boutons dorés les membres de l’état-major et tous les officiers sourirent de plaisir. Impeccablement groupés autour de leur commandant pour accueillir les passagers et les invités, ils ne se lassaient pas de l’émerveillement de ces derniers à la découverte des aménagements intérieurs de leur navire.
    Tout avait été dit à ce sujet, le pire et le meilleur.
    « Avec le France, on passe du Lalique au formica ! » avait lancé en forme de boutade un grincheux, ou un homme lucide, selon l’avis que l’on avait sur le formica, matériau qui commençait à faire fureur et qui allait, dès les années suivantes, envahir les cuisines et les salles à manger de tout le pays, et reléguer dans le fond des granges les bahuts de noyer et les tables de chêne.
    « Quelle hérésie de voir ça sous cet angle alors que c’est le savoir des meilleurs artisans français réunis qui s’exprime dans sa plus grande modernité ! Preuve que nous sommes un pays d’avenir ! » avait dit un autre pour qui le talent ne pouvait se figer dans le passé, si cher soit-il au coeur des hommes du présent. À part les avis contradictoires des uns et des autres et quelques photos données en avant-première dans Paris-Match, personne ne savait ce qu’il en était réellement de la décoration du France. Sophie le découvrait en cet instant, éblouie par la grande clarté et le luxe des matières, brillantes et légères, qui offraient à l’oeil une vision indéniablement nouvelle. Jamais elle n’avait ressenti l’impression futuriste qui se dégageait du hall immense. Des lambris de métal oxydé gris-bleu recouvraient l’ensemble des cloisons, créant un effet de moire métallique et, de chaque côté d’un grand escalier à la rampe étincelante d’aluminium plié et d’inox poli, deux sculptures en ruban d’acier posées sur des socles de verre évoquaient des météores croisés dans un espace intersidéral. Pas de foule, pas de piétinement sur la splendide moquette rouge qui relevait cet ensemble aérien d’une note de faste. Juste une parfaite harmonie, un glissement des passagers émerveillés dirigés sans heurts par des professionnels de grande tenue vers des cabines encore mystérieuses.
    Que de grâce il y avait dans cet ensemble léger ! Que de sensations inconnues Sophie éprouvait dans ce fascinant et déroutant décor ! De hauts bouquets de glaïeuls jaillissaient des vases de cristal, et les uniformes des marins et des officiers apportaient à l’ensemble une touche de sensualité masculine inattendue et troublante.
    C’est alors qu’un Américain enthousiaste poussa ce cri venu du coeur :
    — Ah ! La France !
    Autour de lui, les voyageurs, visiblement touchés, applaudirent avec délicatesse pour marquer leur assentiment.
    — Ces Américains n’ont aucun goût, chuchota l’Académicien. Mais enfin, ajouta-t-il, tant qu’ils saluent la France !
    Noyés dans la gaieté générale, ses ronchonnements ne trouvèrent aucun écho.
    — Sophie, Sophie ! ! !
    Une jeune femme blonde en tailleur couture de tweed gris clair l’interpellait. Sophie reconnut Béatrice, une amie journaliste qui signait dans un hebdomadaire féminin.
    — Viens, fît cette dernière en la prenant par le bras, mettons-nous sur la droite. J’ai l’impression que les invités importants vont de ce côté-là. Pour l’attribution des cabines, ce doit être mieux, il y a tous les officiels. Regarde, il y a Tino Rossi, Juliette Gréco...
    Mais elle fut interrompue par un grand brouhaha. Tous les regards se tournèrent vers les portes du grand hall. Michèle Morgan, au faîte de sa gloire et de sa beauté, venait d’apparaître en manteau
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