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La parade des ombres

La parade des ombres

Titel: La parade des ombres
Autoren: Mireille Calmel
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l’absurdité de son entêtement à vivre, malgré les sordides conditions dans lesquelles elle croupissait.
    Machinalement, elle l’apaisa de sa paume caressante. Combien de fois avait-elle imaginé Mary faisant le même geste ? Une larme roula sur sa joue. Elle serra les dents pour que les autres ne suivent pas.
    Elle ne comprenait pas. Non, elle ne comprenait pas. C’était peut-être cela qui lui faisait mal. Ce mystère autour de sa mort qui la renvoyait au mystère de son existence.
    Mary n’avait jamais parlé d’elle. La seule chose qu’elle en savait était son origine anglaise. Née de Cecily et d’un père marin, lui avait-elle confié. Qu’elle avait eu des enfants et était aimée du marquis. Voilà tout ce qu’elle aurait pu en dire à quiconque aurait demandé qui était Mary Read. Et, cependant, ces ébauches de confidences et ce bijou qu’elle lui avait confié comme une promesse ne cessaient de l’obséder. Mary détenait une partie des réponses qu’elle cherchait depuis son enfance. Elle le savait. Elle le sentait.
    Pour les punir, on les avait séparées ces derniers mois, remontant Mary d’un étage avant de la ramener mourante dans ce cachot sordide. Leurs regards s’étaient accrochés, fugaces, et elle s’était sentie mourir alors qu’elle n’en finissait plus de languir de son absence. Aujourd’hui, elle en crevait.
    Ce qu’elle venait de voir, ces dernières heures, l’avait bouleversée. Si encore on avait accepté de lui dire, de lui expliquer, mais rien. Le silence. Elle soupira douloureusement. Non, vraiment, elle ne comprenait pas pourquoi Mary Read, née de la boue, n’avait pas été jetée comme les autres pirates dans le charnier des pauvres, pourquoi on l’avait placée dans un cercueil au couvercle surmonté d’une salamandre au lieu d’une croix, pourquoi on lui avait ordonné à elle de marcher, sans mot dire, jusqu’à la petite église de la paroisse Sainte-Catherine, derrière le chariot qui avançait au pas, au milieu des passants qui s’écartaient sur ce curieux cortège : une charrette chargée d’un cercueil surprenant et une prisonnière, entravée aux bras et aux pieds, ventre tendu et regard triste, encadrée par deux soldats armés.
    Cela n’avait pas de sens.
    Avait-on voulu que la ville tout entière, la voyant ainsi en peine, sache que Mary Read était morte ? Pour quoi faire ? Le procès achevé, elle était sûre qu’on les avait oubliées. Alors, à quoi bon cette mascarade ! Et celle du pasteur, qui avait posé un crucifix sur la salamandre comme pour pardonner cette offense ! Dernière volonté de Mary ? Dernier pied de nez ?
    Elle ne possédait rien. Aucune fortune. Qui avait payé pour tout cela ? Le marquis ? Il ne s’était pas montré dans l’église. Le pasteur avait marmonné sa litanie, avait béni le cercueil qu’on avait rouvert. Pour s’assurer qu’elle y dormait bien ? Elle paraissait sommeiller, de fait. Les mains jointes sur l’enfant posé sur son ventre, comme s’ils ne faisaient qu’un encore.
    Ann avait eu envie de la toucher, de l’embrasser, de l’étreindre. Mais elle n’avait pas osé. Par fierté. Elle avait feint l’indifférence, le cœur écartelé.
    Le fossoyeur avait refermé le couvercle du cercueil. Elle avait pensé alors que c’était fini, mais non. Le pasteur lui avait demandé de la suivre et Ann avait traîné son pas lourd derrière cette bière qu’on avait levée et emmenée au cimetière jouxtant l’église. Un trou béait, que des cierges éclairaient, piqués à même le sol. Le fossoyeur et un de ses aides avaient sanglé le cercueil, l’avaient fait descendre avant de le recouvrir de terre. Puis on l’avait ramenée, elle, à sa cellule.
    L’étau resserra son emprise, au point bientôt d’en devenir si insupportable qu’un sanglot la gagna. Elle l’étouffa dans son poing, déterminée à le vaincre. Mais elle n’y parvint pas.
    Les larmes noyèrent ses yeux, son nez, sa bouche. Lorsqu’elle comprit qu’elle finirait par en hurler, elle porta son autre main à sa gorge et serra. Serra. Obligeant sa trachée à chercher l’air. Appelant l’instinct de survie au secours de sa peine.
    Si seulement elle trouvait le courage ! Quelques minutes. Ne pas lâcher la pression. Imaginer d’autres mains que les siennes. L’étau du désespoir devint celui de la panique.
    Les images vacillèrent. L’enfant mort-né de Mary. Celui qu’elle portait, Rackham
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