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La parade des ombres

La parade des ombres

Titel: La parade des ombres
Autoren: Mireille Calmel
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autrefois de la disparition de sa mère.
    — Jamais ! Jamais ! Jamais ! répéta-t-elle encore en se redressant comme une furie. Fais affréter le navire, nous partons pour la Jamaïque. Je refuse de croire que ce poltron de Lawes ait tout tenté. Je ne laisserai pas Ann être pendue !
    — Si cela t’amuse, lui accorda-t-il. Mais tu as tort de t’entêter. Lawes ne mettra pas enjeu sa réputation pour une femme pirate.
    — En ce cas, j’ébranlerai les murs de sa prison, mais Ann n’y croupira pas, tu entends. Si je l’en délivre, elle sera bien forcée de m’aimer.
    — J’en ai assez de cette histoire ! s’exclama-t-il. Je ne te partagerai pas, Emma. Si tu la délivres, c’est moi qui la tuerai.
    Emma blêmit de colère. Et Gabriel cessa d’un coup de la troubler. Une domestique entra, les mains chargées d’un plateau sur lequel fumaient deux tasses de chocolat aromatisé à la cannelle.
    — Posez-le et laissez-nous, ordonna-t-il, quittant Emma des yeux.
    Elle en profita pour récupérer son poignard à sa jarretière. A peine la jeune femme sortie, Gabriel se retourna vers Emma, bien décidé à la plier une fois encore à sa volonté. Il n’en eut pas le temps. Rapide et précis, le poignard qu’elle venait de lancer l’atteignit en plein cœur.
    — Tu l’as fait, hoqueta-t-il en s’écroulant à genoux.
    Un sanglot de rage et de frustration emporta Emma.
    Elle se précipita vers lui et se pencha sur ses lèvres pour lui voler un dernier baiser au goût de sang, tout en appuyant sur le manche du poignard pour l’achever.
    — Personne, tu entends, personne ne se mettra jamais entre elle et moi.
     
    *
     
    Des pas lourds martelèrent les pierres d’un escalier humide, comme tant d’autres fois, tant d’autres jours qu’Ann ne comptait plus.
    Elle les sentit pesant d’un souffle fatigué et son instinct lui fit lever le buste, se tendre vers ces pas qui s’approchaient d’elle par le corridor sombre. Elle les compta machinalement. Deux, ils étaient deux. Un homme et une femme.
    Sa gorge se serra en un spasme rageur. Elle bondit, cherchant à percer leur identité avant même que la lumière descendant par le fenestron de sa cellule ne la lui livre. Elle était certaine, certaine, qu’ils venaient pour Mary. Mary qui accouchait dans son cachot. Mary qui se mourait. Elle s’accrocha aux barreaux, comme ils tournaient l’angle du corridor, et s’époumona :
    — Dégage ! Laisse-la tranquille ou je te vide la panse, tu entends ! Comme une charogne ! De bas en haut ! cracha-t-elle en mimant d’un geste prompt le mouvement d’une lame.
    — Vas-tu te taire, garce ? beugla le gardien en cinglant les doigts agrippés avec rage de toute la violence de son fouet.
    — Laisse ! gronda la mulâtresse, empêchant, d’un bras tendu, un second coup prêt à s’abattre.
     
    Souple et féline malgré un embonpoint tenace, elle s’approcha de la prisonnière et, la toisant avec un sourire triste, s’arrêta sur son ventre que l’enfant cognait, cherchant lui aussi l’évasion. Ann répéta dans un souffle mauvais :
    — Si elle meurt, je te crève !
    La mulâtresse secoua la tête.
    — Ton tour viendra, la Bonny ! Oui, ton tour viendra, répéta-t-elle.
    Tournant les talons, elle reprit son allant, serrant les dents sur le sifflement du fouet abattu une nouvelle fois, comme si elle en percevait elle-même la morsure. Ann ne s’en plaignit pas plus que du premier. La douleur était bien plus profonde en elle, si violente qu’elle aurait perçu tout autre sévice comme une caresse. Rongée d’impuissance, désespérée, elle hurla encore :
    — La laisse pas te crever, Mary ! Saigne-la ! Corne de pendu ! Saigne-la, Mary !
    Le gardien, qui avait rejoint la mulâtresse au détour du corridor, tourna sa clé dans une serrure rouillée par l’humidité permanente. La porte s’ouvrit sous sa poussée vigoureuse. Il s’attarda, le temps de laisser sa chandelle accompagner la mulâtresse au bas des trois marches qui menaient à la terre battue de la geôle. Les hurlements d’Ann firent relever la tête de Mary, étendue à même lt sol sur un matelas de feuilles de bananier, abattue par le saignement de ses couches. Entendre cette voix amie lui arracha un sourire. Elle devina cette femme, debout dans la lueur blafarde d’un cierge qu’on lui avait consenti. Triste mais imposante. Les mains tendues vers sa fièvre.
    — Mamisa Edonie, s’étonna Mary,
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