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La parade des ombres

La parade des ombres

Titel: La parade des ombres
Autoren: Mireille Calmel
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reconnaissant la mulâtresse qu’elle avait aidée tant de fois sur la Tortue. Que fais-tu si loin de tes enfants ?
    — Je viens délivrer le tien, Mary. C’est le marquis qui m’envoie. Aie confiance en moi, ajouta-t-elle en frappant d’un coup sec le haut du pubis durci de Mary.
    Aussitôt, la douleur la ploya en avant. Elle était nauséeuse, le front baigné d’une sueur froide, le regard mauvais. Les contractions s’enchaînèrent, aussi rapprochées soudain qu’elles avaient été espacées des heures durant, jusqu’à se taire tout à fait.
     
    Edonie la laissa se tordre, soumise, et s’affaira sans hâte autour du panier de jonc tressé, recouvert d’une cotonnade rouge, qu’elle avait apporté. Sous ses doigts agiles, plusieurs chandelles furent disposées autour de la paillasse de Mary, dispensant bientôt une lueur réconfortante. Edonie les relia entre elles à l’aide d’une traînée de poudre ocre, à l’intérieur de laquelle elle traça d’étranges signes en réponse à la litanie qu’elle s’était mise à psalmodier. Mary s’y abandonna. Il y avait si longtemps qu’elle attendait les siens. Si longtemps aussi qu’elle souffrait.
    Edonie s’immobilisa enfin entre ses cuisses ouvertes et relevées.
    — Lorsque je te le dirai, tu pousseras encore et encore !
    Mary hocha la tête. Edonie enduisit sa main droite d’une substance carmin et la plongea dans ses chairs meurtries, sans ménagement. Il sembla à Mary que son corps tout entier s’écartelait tandis qu’un feu ardent s’emparait de son bas-ventre. Elle hurla.
    — Maintenant ! ordonna la mulâtresse en frappant de nouveau le pubis endolori de son autre poing.
    Les larmes aux yeux, Mary obéit, pliée vers l’avant par cet instinct de survie si vibrant en elle. Elle l’avait bien senti, l’enfant était mort-né. Elle s’efforça de rejeter ce petit être, si noiraud déjà qu’elle ne sut faire la différence entre son corps inanimé et les mains de cette femme. Comme elle s’y attendait, il ne cria pas. Elle se laissa retomber sur la paillasse, à bout de souffle, les tempes écrasées par une pression insupportable, grelottante d’une fièvre qu’elle pressentait maligne, sans voix.
    La mulâtresse déposa le petit corps sans vie dans un linge, extirpa le placenta du ventre torturé, le remplaça par une mixture malodorante, puis essuya ses mains ensanglantées avec soin. Exténuée, brisée, Mary ne bougeait plus, ne pensait plus. Un rat trottina dans le sable, attiré par l’odeur nauséabonde. D’un coup de pied savamment ajusté, Mamisa l’envoya s’écraser contre le mur sombre, comme tant d’autres fois dans sa chienne de vie. Elle ramassa une fiole de verre bleu dans son panier et revint vers la jeune femme.
    — Bois, Mary, bois et tu seras en paix, insista-t-elle en lui redressant la nuque.
    Mary laissa le liquide amer couler dans sa gorge sèche, soumise à ces mains, à ce chant qui s’échappait de la bouche charnue de Mamisa. Des images tourbillonnèrent un moment dans sa mémoire sans parvenir à s’y fixer, puis s’estompèrent. Les battements à ses tempes s’espacèrent, tandis que les spasmes douloureux cédaient progressivement la place à un froid de plus en plus glacial.
    — Je meurs ? demanda-t-elle, résignée.
    Edonie s’accroupit à ses côtés. Avec une profonde tendresse, elle lissa ses cheveux roux, collés à son front par la fièvre.
    — Laisse couler, Mary, chuchota-t-elle. Laisse couler.
    Mary referma les yeux. Une étrange sensation s’imprima en elle. D’ivresse. Elle revit ces instants, lorsque les tonneaux de guildive éventrés dispensaient leurs dernières larmes et que, adossée à la grand-vergue, elle se laissait bercer par le roulis du navire, tout entière aspirée par un océan d’étoiles. Elle revit Junior puis Ann à ses côtés, grisés eux aussi. Un sourire apaisé se dessina sur ses lèvres sèches. Elle s’y engloutit.
    Edonie demeura agenouillée en prière un long moment, puis chercha le pouls à la jugulaire de Mary. Satisfaite, elle se redressa et rejoignit les mains calleuses de la jeune femme sur sa poitrine gorgée de lait. Cérémonieusement, elle déposa l’enfant entre les cuisses de sa mère, sa petite tête inerte sur le pubis. Ensuite seulement, elle moucha une à une les chandelles, éparpilla la poudre selon un étrange rituel, et rassembla ses affaires dans son panier.
    Lorsqu’elle fut en haut des marches, elle
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