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La parade des ombres

La parade des ombres

Titel: La parade des ombres
Autoren: Mireille Calmel
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étendit sa main en direction du dernier cierge. Comme par magie, sa flamme se rétrécit progressivement, puis disparut en emportant avec elle l’image de Mary Read. Alors, elle frappa à la porte, qui s’écarta en grinçant, et sortit. Repassant devant la cellule d’Ann Bonny, elle s’y immobilisa. Ann ne broncha pas. Elles s’affrontèrent du regard. Celui d’Edonie se voulait apaisement et confiance. Ann n’y lut qu’une satisfaction malsaine qui lui fit cracher par terre de défi et détourner la tête pour ne pas hurler. Résignée, Edonie emboîta le pas au gardien. Elle quitta le bâtiment et traversa la cour intérieure sous un crachin tiède. Parvenue à l’imposante porte de fer qui barrait les hauts murs d’enceinte de la prison, elle extirpa discrètement une bourse rebondie de son corsage fleuri.
    — N’oublie pas, lui dit-elle. C’est ce soir l’enterrement, pas après. A l’église Sainte-Catherine. Tu ne dois pas séparer la mère de l’enfant. Et refermer le cercueil juste avant de l’emmener. Laisse pas la Bonny l’approcher. Tu as bien compris ?
    L’homme hocha la tête. Il hésita un instant dans un raclement de gorge, puis osa :
    — Et mon fils ?
    — Respecte la volonté de Dieu, et Dieu le guérira, s’adoucit Edonie en lui glissant son écot et une fiole dans la poche.
    Le gardien donna un tour de sa grosse clé, puis écarta avec vigueur la lourde porte. Edonie en franchit le seuil de sa démarche pesante, sans accorder plus d’attention à la végétation luxuriante et colorée qui envahissait jusqu’au seuil des habitations, qu’à la crasse triste du cachot qu’elle abandonnait sans remords. Elle traversa une rue déserte à cette heure de la sieste et marqua une halte près d’un renfoncement, qu’un pan de mur ombrageait. Une voix d’homme s’en détacha :
    — Où est l’enfant ?
    — Trop tard, marquis. Pour le reste, c’est comme tu voulais.
    Un soupir las répondit à son pas lourd. Baletti lui avait interdit de s’attarder. En face d’elle, la rue poussiéreuse, bordée de maisons disparates, descendait vers le port, que, toutes voiles dehors, des navires quittaient tour à tour. La prêtresse vaudoue serra plus fort encore sa main poisseuse sur l’anse du panier et fixa l’horizon, le regard endeuillé malgré un franc sourire.
     
    *
     
    Ann Bonny regagna sa cellule, la poitrine prisonnière d’un étau invisible qui la broyait à lui couper le souffle. Elle n’aurait jamais pensé que cela puisse faire aussi mal. Tant que, depuis son retour dans sa cellule, elle n’avait pas bougé. Adossée au mur, dans le recoin le plus sombre, elle s’était frottée contre lui pour que les pierres rugueuses et humides griffent ses vêtements défraîchis et usés. Pour que cette douleur-là lui ôte celle qu’elle retenait en son sein. Pour qu’ils ne puissent s’en réjouir, s’en repaître. Pour rester fidèle à sa légende d’être sans humanité, sans remords, sans souffrance. A côté de son visage, par le fenestron passait une brise de mer. Avaler un peu de cette liberté défendue, c’était encore lui rendre hommage. La mort de Rackham lui avait piqué le ventre, bien qu’elle s’en soit défendue, celle de Mary la laissait démunie. Elle n’aurait jamais imaginé en souffrir autant. L’aimer autant. Dès l’annonce de la sentence, elle s’était accordée à l’idée du gibet. Se voyant y monter, fière, en sifflant. Mary, digne, à ses côtés. Elle n’avait jamais eu peur de la mort, elle aimait trop la braver. Mais celle-ci était injuste. Mary n’aurait pas dû finir comme ça. Tristement. Dans un cachot.
    Un instant, elle crut entendre la voix de la mulâtresse, qui grinçait : « Ton tour viendra, la Bonny. Ton tour viendra ! » Elle se jura que cela n’arriverait pas. Elle ne laisserait plus ces mains la toucher. Si la sorcière revenait pour lui voler son âme, si noire soit-elle, elle ne la lui donnerait pas pour renforcer la sienne. Elle l’étranglerait de ses mains, blanches sur son cou sombre. Ensuite, elle se tuerait. Elle ignorait comment, avec quoi. Mais elle le ferait. Par tous les moyens. Pour empêcher qu’une autre ne vienne.
    L’enfant se mit à cogner la peau distendue de son ventre. Elle était de nouveau décente grâce à la robe propre qu’on lui avait fait mettre pour la cérémonie, la privant de l’ancienne, déchirée pour que son enfant en jaillisse, qu’il exprime toute
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