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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France
Autoren: Maurice Druon
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là !
    Une forme se tenait contre le mur,
que Mortimer avait devinée le premier. Le barbier cacha sous sa paume la faible
flamme de la chandelle ; le lieutenant dégagea sa dague ; ils
avancèrent plus lentement.
    L’homme, dans l’ombre, ne bougeait
pas. Les épaules et les bras collés à la muraille, les jambes écartées, il
paraissait avoir peine à se soutenir.
    — C’est Seagrave, dit le
lieutenant.
    Le constable borgne, comprenant
qu’on l’avait drogué en même temps que ses hommes, était parvenu à marcher
jusque-là et luttait contre une invincible torpeur. Il voyait son prisonnier
s’évader ; il voyait son lieutenant qui l’avait trahi ; mais sa
bouche ne formait aucun son, ses membres lui refusaient tout mouvement, et,
dans son œil unique, sous une paupière qui s’appesantissait, on pouvait lire
l’angoisse de la mort. Le lieutenant lui lança le poing en plein visage ;
la tête du constable cogna contre la pierre, et son corps s’affaissa.
    Les trois hommes passèrent devant la
porte du grand réfectoire où les torches fumaient ; toute la garnison s’y
trouvait, endormie. Affalés sur les tables, écroulés sur les bancs, étendus à
même le sol, les archers ronflaient, gueules ouvertes, dans des postures
grotesques, comme si un magicien les eût plongés dans un sommeil de cent ans.
Même spectacle aux cuisines éclairées par les braises rougeoyant sous les
chaudrons, et où stagnait une épaisse odeur de graillon. Les vivandiers avaient
tâté, eux aussi, du vin d’Aquitaine dans lequel le barbier Ogle avait versé la
drogue ; et ils gisaient, qui sous l’étal, qui près de la panetière, qui
parmi les brocs, la panse en l’air et les bras écartés. Seul bougeait un chat,
gorgé de viande crue, et cheminant d’une patte prudente à travers les tables.
    — Ici, my Lord, dit le
lieutenant en guidant le prisonnier vers un réduit utilisé à la fois comme
latrines et comme déversoir aux eaux grasses.
    Une lucarne était ménagée dans ce
réduit, seule ouverture sur ce côté des murs qui pût livrer passage à un homme [9] .
    Ogle apporta une échelle de corde
qu’il avait cachée dans un coffre, et approcha une escabelle. L’échelle fut
fixée au rebord de la lucarne ; le lieutenant passa le premier, puis Roger
Mortimer, puis le barbier. Et bientôt ils furent tous les trois accrochés à
l’échelle, glissant le long de la muraille, à trente pieds au-dessus de l’eau
miroitante des douves. La lune n’était pas encore levée.
    « En effet, mon oncle n’aurait
jamais pu s’enfuir de la sorte », pensa Mortimer.
    Une masse noire bougea à côté de
lui, avec un froissement de plumes. C’était un gros corbeau, niché dans une
meurtrière et dérangé dans son sommeil. Mortimer, instinctivement, étendit la
main, fouilla dans un plumage chaud, trouva le cou de l’oiseau qui eut un long
cri douloureux, presque humain ; le fugitif serra de toutes ses forces en
tournant le poignet jusqu’à ce qu’il sentît le craquement des os sous ses
doigts.
    Le corps de l’animal tomba dans
l’eau avec un bruit claquant.
    — Who goes there [10]  ?
cria aussitôt une sentinelle.
    Et un casque se pencha hors d’un
créneau, au sommet de la tour de la Cloche.
    Les trois fugitifs, agrippés à
l’échelle de corde, se tassaient contre la muraille.
    « Pourquoi ai-je fait
cela ? pensait Mortimer. Quelle sotte tentation m’a poussé ? Il y
avait assez de risques ; pourquoi en inventer ? »
    Mais la sentinelle, rassurée par le
silence, reprit sa ronde, et l’on entendit son pas décroître dans la nuit.
    La descente continua. L’eau, en
cette saison, était peu profonde dans les douves. Les trois hommes s’y
laissèrent couler, disparaissant jusqu’aux épaules, et longèrent l’assise de la
forteresse. S’appuyant de la main aux pierres du mur romain, ils contournèrent
la tour de la Cloche, et puis traversèrent le fossé en amortissant le plus
possible le bruit de leurs gestes. Le talus était vaseux et glissant. Les
fugitifs s’y hissèrent sur le ventre, s’aidant l’un l’autre, puis coururent,
courbés, jusqu’à la berge du fleuve. Là, une barque attendait, cachée dans les
herbes. Deux rameurs se tenaient aux avirons ; un homme, enveloppé dans
une grande chape sombre et la tête couverte d’un chaperon à oreillettes, était
assis à l’arrière ; il émit un sifflement léger, à trois reprises. Les
fugitifs sautèrent dans la
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