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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France
Autoren: Maurice Druon
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à espérer, à craindre aussi. Craindre que Ogle ne
commît une sottise dans l’exécution du plan préparé, craindre que Alspaye, à la
dernière minute, ne soit ressaisi par le sens du devoir… une journée à prévoir
tous les obstacles fortuits, tous les éléments de hasard qui peuvent faire
manquer une évasion.
    « Il vaut mieux n’y pas songer,
se dit-il, et croire que tout ira bien. Les choses surviennent toujours
différemment de ce qu’on a pu imaginer. » Mais sa pensée revenait aux
mêmes soucis. « Il y aura les veilleurs sur les chemins de ronde… »
    Il fit un brusque saut en arrière.
Le corbeau avait avancé en tapinois, le long du mur, et il s’en était peu
fallu, cette fois, qu’il n’atteignît l’œil du prisonnier.
    — Ah ! Édouard, Édouard,
c’en est trop à présent, dit Mortimer entre les dents. L’un de nous deux,
aujourd’hui, doit l’emporter.
    La garnison venait de sortir de la
chapelle et d’entrer au réfectoire, pour les ripailles traditionnelles.
    Le geôlier reparut sur le seuil de
la cellule, suivi d’un gardien chargé du repas des prisonniers. Le brouet de
fèves, par exception, était engraissé d’un peu de viande de mouton.
    — Forcez-vous à vous mettre
debout, mon oncle, dit Mortimer.
    — Et l’on nous prive même de la
messe, comme des excommuniés ! dit le vieux Lord sans bouger de son
bat-flanc.
    Le porte-clefs s’était retiré. Les
prisonniers seraient sans autre visite jusqu’au soir.
    — Ainsi, mon oncle, vous êtes
vraiment résolu à ne point m’accompagner ? demanda Mortimer.
    — T’accompagner où, mon
garçon ? répondit le Lord de Chirk. On ne s’évade pas de la Tour, je te le
répète. Nul n’y est jamais parvenu. On ne se rebelle pas non plus contre son
roi. Édouard n’est pas le meilleur souverain que l’Angleterre ait eu, certes
non, et ses deux Despensers mériteraient bien d’être à notre place. Mais on ne
choisit pas son roi, on le sert. Jamais je n’aurais dû vous écouter, Thomas de
Lancastre et toi, quand vous avez pris les armes. Car Thomas a été décapité, et
voilà où nous sommes…
    C’était l’heure où, après quelques
bouchées avalées, il consentait à parler, d’une voix monotone et lasse, pour
ressasser d’ailleurs les mêmes propos que son neveu entendait depuis dix-huit
mois.
    Il ne restait plus rien, à
soixante-sept ans, chez Mortimer l’Ancien, du bel homme ni du grand seigneur
qu’il avait été, fameux pour de fabuleux tournois donnés au château de
Kenilworth, et dont trois générations parlaient encore. Son neveu s’efforçait
en vain de ranimer quelques braises au cœur de ce vieil homme épuisé.
    — D’abord, mes jambes ne me
soutiendraient pas, ajouta-t-il.
    — Que ne les essayez-vous un
peu ! Quittez donc votre lit. Et puis, je vous porterai, je vous l’ai dit.
    — C’est cela ! Tu vas me
porter par-dessus les murs, et puis dans l’eau où je ne sais pas nager. Tu vas
me porter la tête sur le billot, voilà, et la tienne avec. Dieu est peut-être
en train de travailler à notre délivrance, et toi tu vas tout ruiner par cette
folie où tu t’entêtes. C’est toujours ainsi ; la révolte est dans le sang
des Mortimer. Rappelle-toi le premier Roger de notre lignée, le fils de
l’évêque et de la fille du roi Herfast. Il avait battu l’armée du roi de France
sous les murs de son château de Mortimer-en-Bray [7] . Et pourtant il
offensa si fort le Conquérant, son cousin, que ses terres et ses biens lui
furent ôtés…
    Roger Mortimer de Wigmore, assis sur
l’escabelle, croisa les bras, ferma les yeux, et se renversa un peu pour
appuyer les épaules au mur. Il lui fallait subir la quotidienne invocation des
ancêtres, écouter Roger Mortimer de Chirk conter pour la centième fois comment
Ralph le Barbu, fils du premier Roger, avait débarqué en Angleterre aux côtés du
duc Guillaume, et comment il avait reçu Wigmore en fief, et pourquoi, depuis,
les Mortimer étaient puissants sur quatre comtés.
    Du réfectoire s’échappaient les
chansons à boire que braillaient les soldats en fin de repas.
    — De grâce, mon oncle, s’écria
Mortimer le jeune, abandonnez un moment nos aïeux. Je n’ai pas si grand-hâte
que vous de les retrouver. Oui, je sais que nous descendons d’un roi. Mais le
sang des rois est petit sang dans une prison. Est-ce le glaive d’Herfast de
Danemark qui va nous délivrer ? Où sont nos terres, et nous sert-on
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