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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France
Autoren: Maurice Druon
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semble qu’Isabelle, fille du
Roi de fer et sœur de Charles IV de France, ait transporté au-delà de la
Manche la malédiction des Templiers…
     

PREMIÈRE PARTIE

DE LA TAMISE À LA GARONNE
     

I

« ON NE S’ÉVADE PAS DE LA TOUR DE LONDRES… »
    Un énorme corbeau, noir, luisant,
monstrueux, presque aussi gros qu’une oie, sautillait devant le soupirail.
Parfois il s’arrêtait, l’aile basse, la paupière faussement close sur son petit
œil rond, comme s’il allait dormir. Puis soudain, détendant le bec, il
cherchait à frapper les yeux d’homme qui brillaient derrière les barreaux du
soupirail. Ces yeux gris, couleur de silex, semblaient attirer l’oiseau. Mais
le prisonnier était vif et avait déjà reculé le visage. Alors le corbeau
reprenait sa promenade, par sauts pesants et courts.
    L’homme, à présent, sortait la main
hors du soupirail, une belle main grande et longue, nerveuse, l’avançait
insensiblement, la laissait inerte, pareille à une branche sur la poussière du
sol, attendant l’instant de saisir le corbeau par le cou.
    L’oiseau, lui aussi, était rapide,
en dépit de sa taille ; il s’écartait d’un bond, lançant un croassement
enroué.
    — Prends garde, Édouard, prends
garde, dit l’homme derrière la grille du soupirail. Un jour, je finirai bien
par t’étrangler.
    Car le prisonnier avait donné à ce corbeau
sournois le nom de son ennemi, le roi d’Angleterre.
    Il y avait dix-huit mois que le jeu
durait, dix-huit mois que le corbeau visait les prunelles du détenu, dix-huit
mois que le détenu avait envie d’étouffer l’oiseau noir, dix-huit mois que
Roger Mortimer, huitième baron de Wigmore, grand seigneur des Marches galloises
et ex-lieutenant du roi en Irlande, était enfermé, en compagnie de son oncle
Roger Mortimer de Chirk, ancien Grand Juge du Pays de Galles, dans un cachot de
la tour de Londres. L’usage eût voulu que des prisonniers d’un tel rang, qui
appartenaient à la plus ancienne noblesse du royaume, fussent pourvus d’un
logement décent. Mais le roi Édouard II, lorsqu’il s’était saisi en
janvier 1322 après la bataille de Shrewsbury gagnée sur ses barons révoltés,
des deux Mortimer, leur avait assigné cette geôle étroite et basse, prenant son
jour à ras de sol, dans les nouveaux bâtiments qu’il venait de faire
construire, à droite de la tour de la Cloche. Obligé, sous la pression de la
cour, des évêques et du peuple même, de commuer en réclusion perpétuelle la
peine de mort qu’il avait d’abord décrétée contre les Mortimer, le roi espérait
bien que cette cellule malsaine, cette cave où les fronts touchaient le
plafond, ferait, à terme, office de bourreau.
    De fait, si les trente-six ans de
Roger Mortimer de Wigmore avaient pu résister à pareille prison, en revanche
dix-huit mois de brume coulant par le soupirail, ou de pluie suintant des murs,
ou de touffeur épaisse stagnant au fond de ce trou durant la saison chaude,
semblaient avoir eu raison du vieux Lord de Chirk. Perdant ses cheveux, perdant
ses dents, les jambes enflées, les mains tordues de rhumatismes, l’aîné des
Mortimer ne quittait presque plus la planche de chêne qui lui servait de lit,
tandis que son neveu se tenait près du soupirail, les yeux tournés vers la
lumière.
    C’était le deuxième été qu’ils
passaient dans ce réduit. Le jour, depuis deux heures déjà, était levé sur la
plus célèbre forteresse d’Angleterre, cœur du royaume et symbole de la puissance
de ses princes, sur la tour Blanche, construite par Guillaume le Conquérant et
appuyée aux fondations mêmes de l’ancien castrum romain, sur cet immense donjon
carré, léger malgré ses proportions gigantesques, sur les tours d’enceinte et
les murs crénelés dus à Richard Cœur de Lion, sur le Logis du Roi, sur la
chapelle Saint-Pierre, sur la porte des Traîtres. La journée serait chaude,
pesante même, comme la veille l’avait été ; cela se devinait au soleil qui
rosissait les pierres ainsi qu’à l’odeur de vase, un peu écœurante, montant des
douves et de la Tamise toute proche dont l’eau baignait le remblai des fossés [1] .
    Le corbeau Édouard avait rejoint les
autres corbeaux géants sur la pelouse tristement fameuse, le Green, où l’on
installait le billot les jours d’exécutions capitales ; les oiseaux y
picoraient une herbe nourrie du sang des patriotes écossais, des criminels
d’État, des favoris tombés en
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