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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France
Autoren: Maurice Druon
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disgrâce.
    On ratissait le Green, on en
balayait les chemins pavés sans que les corbeaux s’effarouchassent ; car
nul n’aurait osé toucher à ces animaux qui vivaient là, objets d’une vague
superstition, depuis des temps immémoriaux.
    Les soldats de la garde, sortant de
leurs logis, achevaient hâtivement de boucler leur ceinturon ou leurs houseaux,
coiffaient leur chapeau de fer, et se rassemblaient pour la parade quotidienne
qui, ce matin, prenait une importance particulière car on était le 1 er août, jour de Saint-Pierre-ès-Liens – auquel la chapelle était
dédiée – et fête annuelle de la Tour.
    Les verrous grincèrent à la porte
basse de la cellule. Le geôlier porte-clefs ouvrit, jeta un regard à
l’intérieur, et laissa entrer le barbier. Celui-ci, un homme à petits yeux, à
nez long, à bouche ronde, venait une fois la semaine raser Roger Mortimer le
Jeune. Pendant les mois d’hiver, cette opération était un supplice pour le
prisonnier, car le constable Stephen Seagrave, gouverneur de la Tour [2] , avait
déclaré :
    — Si Lord Mortimer veut
continuer d’être rasé, je lui enverrai donc le barbier, mais je n’ai pas
obligation de le fournir d’eau chaude.
    Et Lord Mortimer avait tenu bon,
d’abord pour défier le constable, ensuite parce que son ennemi exécré le roi
Edouard portait une jolie barbe blonde, enfin et surtout pour lui-même, sachant
que s’il cédait sur ce point, il s’abandonnerait progressivement à la déchéance
physique. Il avait sous les yeux l’exemple de son oncle, lequel ne prenait plus
aucun soin de sa personne. Le menton broussailleux, les mèches éparses autour
du crâne, le Lord de Chirk, après dix-huit mois de détention, avait l’apparence
d’un vieil anachorète et se plaignait sans arrêt des multiples maux qui
l’accablaient.
    — Seules les douleurs de mon
pauvre corps, disait-il, m’assurent que je suis encore vivant.
    Donc Mortimer le Jeune, semaine
après semaine, avait accueilli le barbier Ogle, même lorsqu’il fallait casser
la glace dans le bassin et que le rasoir lui laissait les joues sanglantes. Il
en avait été récompensé, car il s’était aperçu au bout de quelques mois que cet
Ogle pouvait lui servir de liaison avec l’extérieur. L’homme avait une âme
étrange ; il était avide, et capable aussi de dévouement ; il
souffrait d’une situation subalterne qu’il jugeait inférieure à son
mérite ; l’intrigue lui offrait l’occasion d’une revanche secrète et
d’acquérir, en partageant les secrets de grands personnages, de l’importance à
ses propres yeux. Le baron de Wigmore était certainement l’homme le plus noble,
à la fois de naissance et de nature, qu’il eût jamais approché. Et puis, un
prisonnier qui s’obstine, même par temps de gel, à se faire raser, cela force
l’admiration !
    Grâce au barbier, Mortimer avait
donc établi un lien, ténu mais régulier, avec ses partisans, et
particulièrement avec Adam Orleton, l’évêque de Hereford ; par le barbier
encore, il avait su que le lieutenant de la Tour, Gérard de Alspaye, pouvait
être gagné à sa cause ; par le barbier toujours, il avait mis sur pied la
lente machination d’une évasion. L’évêque assurait qu’il serait délivré à
l’été. Et l’été était là…
    À travers le judas ménagé dans la
porte, le geôlier, de temps à autre, lançait un regard, sans suspicion
particulière, par simple habitude professionnelle.
    Le prisonnier, une écuelle de bois
sous le menton – retrouverait-il jamais le bassin de fin argent martelé
dont il se servait naguère ? – écoutait les propos de convenance que
lui adressait le barbier à voix très haute, pour donner le change. Le soleil,
l’été, la chaleur… Il faisait toujours beau temps, c’était chose remarquable,
le jour de la Saint-Pierre…
    Se penchant davantage sur son
rasoir, Ogle souffla :
    — Be ready tonight, my Lord [3] .
    Mortimer n’eut pas un
tressaillement. Ses yeux couleur de silex, sous les sourcils bien fournis, se
tournèrent seulement vers les petits yeux noirs du barbier. Celui-ci confirma
d’un mouvement de paupières.
    — Alspaye ?… murmura
Mortimer.
    — He’ll go with us [4] , répondit le
barbier en passant de l’autre côté du visage.
    — The Bishop [5]  ?…demanda
encore le prisonnier.
    — He’ll be waiting for you
outside, after dark [6] ,
dit le barbier qui aussitôt se remit à parler bien fort du
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