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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France
Autoren: Maurice Druon
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avait été
ensorcelée.
    Dix mille, vingt mille, cent mille…
les « pastoureaux » marchaient vers de mystérieux rendez-vous.
Prêtres interdits, moines apostats, brigands, voleurs, mendiants et putains se
joignaient à leurs troupes. Une croix était portée en tête de ces cortèges où
filles et garçons s’abandonnaient à la pire licence, aux pires débordements.
Cent mille marcheurs en guenilles qui entrent dans une ville pour y demander
l’aumône ont vite fait de la mettre au pillage. Et le crime, qui n’est d’abord
que l’accessoire du vol, devient bientôt la satisfaction d’un vice.
    Les pastoureaux ravagèrent la
France pendant toute une année, avec une certaine méthode dans leur désordre,
n’épargnant ni les églises, ni les monastères. Paris affolé vit cette armée de
pillards envahir ses rues, et le roi Philippe V, d’une fenêtre de son
Palais, leur adresser des paroles d’apaisement. Ils exigeaient du roi qu’il se
mît à leur tête. Ils prirent d’assaut le Châtelet, assommèrent le prévôt,
pillèrent l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Puis un nouvel ordre, aussi
mystérieux que celui qui les avait assemblés, les lança sur les chemins du sud.
Les Parisiens tremblaient encore que les pastoureaux déjà inondaient Orléans.
La Terre sainte était loin ; ce furent Bourges, Limoges, Saintes, le
Périgord et le Bordelais, la Gascogne et l’Agenais qui eurent à subir leur fureur.
    Le pape Jean XXII, inquiet
de voir le flot se rapprocher d’Avignon, menaça d’excommunication ces faux
croisés. Ils avaient besoin de victimes ; ils trouvèrent les Juifs. Les
populations urbaines, dès lors, applaudissant aux massacres, fraternisèrent
avec les pastoureaux. Ghettos de Lectoure, d’Auvillar, de Castelsarrasin,
d’Albi, d’Auch, de Toulouse ; ici cent quinze cadavres, ailleurs cent
cinquante-deux… Pas une cité du Languedoc qui n’ait eu droit à sa boucherie
expiatoire. Les Juifs de Verdun-sur-Garonne se servirent de leurs propres
enfants comme projectiles, puis s’entr’égorgèrent pour ne pas tomber aux mains
des fous.
    Alors le pape à ses évêques, le roi
à ses sénéchaux donnèrent ordre de protéger les Juifs dont les commerces leur
étaient nécessaires. Le comte de Foix, se portant au secours du sénéchal de
Carcassonne, dut livrer vraiment une bataille rangée où les pastoureaux,
repoussés dans les marécages d’Aigues-Mortes, moururent par milliers, assommés,
percés, enlisés, noyés. La terre de France buvait son propre sang,
engloutissait sa propre jeunesse. Clergé et officiers royaux s’unirent afin de
pourchasser les rescapés. On leur ferma les portes des villes, on leur refusa
vivres et logement ; on les traqua dans les passes des Cévennes ; on
pendit tous ceux qu’on captura, par grappes de vingt, de trente, aux branches
des arbres. Des bandes errèrent encore pendant près de deux ans, et il alla
s’en perdre jusqu’en Italie.
    La France, le corps de la France
était malade. À peine apaisée la fièvre des pastoureaux, apparut celle des
lépreux.
    Étaient-ils tous responsables,
ces malheureux aux chairs rongées, aux faces de morts, aux mains transformées
en moignons, ces parias enfermés dans leurs ladreries, villages d’infection et
de pestilence où ils procréaient entre eux et dont ils ne pouvaient sortir que
cliquette en main, étaient-ils responsables absolument de la pollution des
eaux ? Car l’été de 1321, les sources, les ruisseaux, les puits et les
fontaines furent, en de nombreux points, empoisonnés. Et le peuple de France,
cette année-là, haleta, assoiffé, devant ses généreuses rivières, ou ne s’y
abreuva plus qu’avec effroi, attendant l’agonie pour chaque gorgée. Le Temple
avait-il mis la main aux poisons étranges – faits de sang humain, d’urine,
d’herbes magiques, de têtes de couleuvres, de pattes de crapauds écrasées,
d’hosties transpercées et de poils de ribaudes – qu’on assura avoir été
répandus dans les eaux ? Avait-il poussé à la révolte le peuple maudit,
lui inspirant, comme certains lépreux, l’avouèrent sous la torture, la volonté
que tous les chrétiens périssent ou devinssent lépreux eux-mêmes ?
    L’affaire commença dans le
Poitou, où le roi Philippe V séjournait. Elle gagna vite le pays tout
entier. Le peuple des villes et des campagnes se rua sur les léproseries pour y
exterminer ces malades devenus soudain ennemis publics. N’étaient
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