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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France
Autoren: Maurice Druon
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épargnées que
les femmes enceintes, mais seulement jusqu’au sevrage de leur nourrisson. Après
quoi on les livrait aux flammes. Les juges royaux couvraient de leurs sentences
ces hécatombes, et la noblesse y prêtait ses hommes d’armes. Puis l’on se
retourna une fois de plus contre les Juifs, accusés d’être complices d’une
immense et imprécise conjuration inspirée, assurait-on, par les rois maures de
Grenade et de Tunis. On eût dit que la France, dans de gigantesques sacrifices
humains, cherchait à apaiser ses angoisses, ses terreurs.
    Le vent d’Aquitaine était
imprégné de l’atroce odeur des bûchers. À Chinon, tous les Juifs du bailliage
furent jetés dans une grande fosse de feu ; à Paris, ils furent brûlés sur
cette île qui portait tristement leur nom, en face du château royal, et où
Jacques de Molay avait prononcé sa fatale prophétie.
    Et le roi mourut. Il mourut de la
fièvre et du déchirant mal d’entrailles qu’il avait contracté en Poitou, dans
sa terre d’apanage ; il mourut d’avoir bu l’eau de son royaume.
    Il mit cinq mois à s’éteindre
dans les pires souffrances, consumé, squelettique.
    Chaque matin, il commandait
d’ouvrir les portes de sa chambre, en l’abbaye de Longchamp où il s’était fait
transporter, laissant venir tous les passants jusqu’à son lit, pour pouvoir
leur dire : « Voyez ici le roi de France, votre souverain seigneur,
le plus pauvre homme de tout son royaume, car il n’est nul d’entre vous avec
qui je ne voudrais échanger mon sort. Mes enfants, mirez-vous à votre prince
temporel, et ayez tous le cœur à Dieu en voyant comme il se plaît à jouer avec
ses créatures du monde. »
    Il alla rejoindre les os de ses
ancêtres, à Saint-Denis, le lendemain de l’Épiphanie
de 1322, sans que personne, hormis sa femme, le pleurât.
    Et pourtant, il avait été un roi
fort sage, soucieux du bien public. Il avait déclaré inaliénable toute partie
du domaine royal ; il avait unifié les monnaies, les poids et les mesures,
réorganisé la justice pour qu’elle fût rendue avec plus d’équité, interdit le
cumul des fonctions publiques, défendu aux prélats de siéger au Parlement, doté
les finances d’une administration particulière. On lui devait encore d’avoir
développé l’affranchissement des serfs. Il souhaitait que le servage disparût
totalement de ses États ; il voulait régner sur un peuple d’hommes
jouissant de « la liberté véritable », tels que la nature les avait
faits.
    Il avait évité les tentations de
la guerre, supprimé de nombreuses garnisons intérieures pour renforcer celles
des frontières, et préféré toujours les négociations aux stupides équipées.
Sans doute était-il trop tôt pour que le peuple admît que la justice et la paix
coûtassent de lourds sacrifices d’argent. « Où sont allés, demandait-on,
les revenus, les dîmes et les annates, et les subventions des Lombards et des
Juifs, puisqu’on a moins distribué d’aumônes, qu’on n’a pas tenu chevauchées,
ni construit d’édifices ? Où donc tout cela a-t-il fondu ? »
    Les grands barons, provisoirement
soumis, et qui parfois, devant les remous des campagnes, s’étaient par peur
serrés autour du souverain, avaient attendu patiemment leur heure de revanche
et contemplé d’un regard apaisé l’agonie de ce jeune roi qu’ils n’avaient pas
aimé.
    Philippe le Long, homme seul, en
avance sur son temps, était passé dans l’incompréhension générale.
    Il ne laissait que des
filles ; « la loi des mâles » qu’il avait promulguée pour son
propre usage les excluait du trône. La couronne était échue à son frère cadet,
Charles de la Marche, aussi médiocre d’intelligence que beau de visage. Le
puissant comte de Valois, le comte Robert d’Artois, tout le cousinage capétien
et la réaction baronniale se voyaient à nouveau triomphants. Enfin, l’on
pouvait reparler de croisade, se mêler aux intrigues de l’Empire, trafiquer des
cours de la monnaie et assister, en se moquant, aux difficultés du royaume
d’Angleterre.
    Là-bas un roi léger, décevant,
incapable, soumis à la passion amoureuse qu’il porte à son favori, se bat
contre ses barons, contre ses évêques, et lui aussi trempe la terre de son
royaume du sang de ses sujets.
    Là-bas une princesse de France
vit en femme humiliée, en reine bafouée, tremble pour sa vie, conspire pour sa
sauvegarde, et rêve de vengeance.
    Il
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