Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
barque.
    — My Lord Mortimer, dit l’homme
à la chape en tendant les mains.
    — My Lord Bishop, répondit
l’évadé en faisant le même geste.
    Ses doigts rencontrèrent le cabochon
d’une bague vers laquelle il pencha les lèvres.
    — Go ahead, quickly [11] ,
commanda le prélat aux rameurs.
    Et les avirons entrèrent dans l’eau.
    Adam Orleton, évêque de Hereford,
nommé à son siège par le pape, contre la volonté du roi, et chef de
l’opposition du clergé, venait de faire évader le plus important seigneur du
royaume. C’était Orleton qui avait tout organisé, tout préparé, circonvenu
Alspaye en l’assurant qu’il allait gagner à la fois sa fortune et le paradis,
fourni le narcotique qui avait plongé dans l’hébétude la tour de Londres.
    — Tout s’est bien passé,
Alspaye ? demanda-t-il.
    — Aussi bien que possible, my
Lord, répondit le lieutenant. Combien de temps vont-ils dormir ?
    — Deux bonnes journées, sans
doute… J’ai là ce qui était promis à chacun, dit l’évêque en découvrant une
lourde bourse qu’il tenait sous sa chape. Et pour vous aussi, my Lord, j’ai le
nécessaire à votre dépense, pour quelques semaines tout au moins.
    À ce moment on entendit une
sentinelle crier :
    — Sound the alarm !
    Mais la barque était déjà fort
engagée sur le fleuve, et tous les cris des sentinelles ne parviendraient pas à
réveiller la Tour.
    — Je vous dois tout, et d’abord
la vie, dit Mortimer à l’évêque.
    — Attendez d’être en France,
répondit celui-ci, et seulement alors vous pourrez me remercier. Des chevaux
nous attendent sur l’autre rive, à Bermondsey. Une nef est frétée, auprès de
Douvres, prête à appareiller.
    — Partez-vous avec moi ?
    — Non, my Lord, je n’ai aucune
raison de fuir. Dès que je vous aurai embarqué, je rentre en mon diocèse.
    — Ne craignez-vous donc pas
pour vous-même, après ce que vous venez de faire ?…
    — Je suis homme d’Église,
répondit l’évêque avec une pointe d’ironie. Le roi me hait mais n’osera pas me
toucher.
    Ce prélat à la voix tranquille, qui
bavardait au milieu de la Tamise, aussi calme que s’il eût été dans son palais
épiscopal, possédait un singulier courage, et Mortimer l’admira sincèrement.
    Les rameurs étaient au centre de la
barque ; Alspaye et le barbier s’étaient installés à l’avant.
    — Et la reine ? demanda
Mortimer. L’avez-vous approchée récemment ? La tourmente-t-on toujours
autant ?
    — La reine, pour le moment, est
dans le Yorkshire, où le roi voyage, ce qui a d’ailleurs bien facilité notre
entreprise. Votre épouse…
    L’évêque insista légèrement sur ce
dernier mot.
    — … votre épouse m’en a
fait tenir des nouvelles l’autre jour.
    Mortimer se sentit rougir et rendit
grâces à l’ombre qui cachait son trouble. Il s’était inquiété de la reine avant
même de s’être enquis des siens et de sa propre femme. N’avait-il donc, durant
ses dix-huit mois de détention, pensé qu’à la reine Isabelle ?
    — La reine vous veut grand
bien, reprit l’évêque. C’est elle qui a fourni de sa cassette, de la maigre
cassette que nos bons amis Despensers consentent à lui laisser, ce que je vais
vous remettre pour que vous puissiez vivre en France. Pour tout le reste, pour
Alspaye, le barbier, les chevaux, la nef qui vous attend, mon diocèse en a fait
les frais.
    Il avait posé la main sur le bras de
l’évadé.
    — Mais vous êtes trempé !
ajouta-t-il.
    — Bah ! fit Mortimer,
l’air de la liberté me séchera vite.
    Il se leva, dépouilla sa cotte et sa
chemise, et se tint debout, torse nu, au milieu de la barque. Il avait un beau
corps solide, aux épaules puissantes, au dos long et musclé ; la captivité
l’avait amaigri, mais sans diminuer l’impression de force que donnait sa
personne. La lune qui venait de surgir l’éclairait d’une lueur dorée et
dessinait les reliefs de sa poitrine.
    — Propice aux amoureux, funeste
aux fugitifs, dit l’évêque en montrant la lune. C’était juste la bonne heure.
    Roger Mortimer, sur sa peau et dans
ses cheveux mouillés, sentait glisser l’air de la nuit, chargé d’odeurs
d’herbes et d’eau. La Tamise, plate et noire, fuyait le long de la barque et
les avirons soulevaient des paillettes d’or. La berge opposée approchait. Le
grand baron se retourna pour regarder une dernière fois la Tour, haute,
immense, épaulée sur ses
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher