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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer
Autoren: Serge Brussolo
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plutôt un intendant passant commande d’un spectacle à domicile pour un baron désireux de régaler ses invités d’une distraction sortant de l’ordinaire. Wallah crispe les mâchoires, elle n’aime pas cela. Depuis quelques années les nobles succombent à la mode des jardins zoologiques : c’est à qui abritera, dans son château, l’enclos empli des bêtes les plus bizarres ramenées de pays ne figurant sur aucune carte. L’inculture de ces riches seigneurs est si grande qu’on peut leur faire gober n’importe quoi ; c’est du moins la philosophie de Bézélios qui ne se prive pas de brosser devant la riche assemblée une géographie imaginaire peuplée d’aberrations fabuleuses.
    Ces parades privées sont bien rétribuées, mais Wallah appréhende chaque fois le moment où les faux phénomènes défileront sous le regard de ces guerriers férus de chasse et de tueries. Certains sont si enragés qu’ils n’hésitent pas à forcer le sanglier à pied, armés d’un unique épieu. Cette passion leur a permis d’acquérir une connaissance de l’anatomie animale qui, en l’occurrence, pourrait se révéler dangereuse.
    Ce qui dupe un paysan ne bernera pas aussi aisément un chevalier comptant à son tableau de chasse grande hécatombe d’ours, de loups, de cerfs et de cochons sauvages.
    Là-bas, Bézélios se courbe humblement. L’affaire est conclue, la parade retenue pour cette nuit, en fin de banquet, quand le vin échauffe les têtes et que les dames se font moins farouches. La vue d’un monstre peut hâter la conclusion d’une affaire amoureuse, fournir le prétexte de se jeter dans les bras de son voisin de table. On connaît cela.
    Une voix mystérieuse souffle à l’oreille de Wallah que, ce soir, les choses pourraient se passer moins bien qu’à l’accoutumée. Malvers de Ponsarrat, le seigneur du lieu, a la réputation d’un traqueur de loups acharné. Il est absurdement fier, par ailleurs, de sa collection de bêtes rares qu’il lâche l’été dans son jardin, à la grande frayeur de la domesticité.
    — Un léon , énumère-t-il avec orgueil devant ses invités, une pandère , un chien bronzé .
    Il parle, bien sûr, d’un lion, d’une panthère et d’un chimpanzé, mais il est si stupide qu’il n’a jamais réussi à retenir ces noms. Il est de ceux qui refusent encore avec la dernière énergie d’apprendre à lire et à écrire parce que ce sont là « savoirs de petit clerc », et que les clercs appartiennent à la classe des serviteurs.
    On dit qu’il dépense beaucoup d’or pour se procurer de nouveaux spécimens qui éblouiront les dames. Des spécimens qui crèvent vite de froid, de malnutrition et de tristesse. Wallah a entraperçu le « léon » en question, un vieux mâle neurasthénique atteint de la pelade, et qui se ronge la queue. Il lui a fait peine.
    L’intendant prend congé. Bézélios s’engouffre dans la tente pour faire son boniment.
     
    Un peu plus tard, Wallah repère deux prêtres en robe noire qui fendent la foule d’un air sévère, jetant sur la débauche ambiante un regard lourd d’anathèmes. Que viennent-ils faire ici ? On n’a point l’habitude de voir pareilles figures de carême dans les lieux de réjouissance, sinon pour condamner les fêtards aux tourments infernaux. Wallah déteste les voir rôder aux abords des tentes et des baraques. Leurs petits yeux de fouine semblent rétrécir au fur et à mesure que croît leur désapprobation.
    Ils se pressent vers le chapiteau où Bézélios présente en ce moment même l’homme tombé de la lune. Refusant de payer l’entrée, ils s’engouffrent sous la toile tels deux spadassins avides d’en découdre.
    *
    Wallah n’a jamais su à quoi ressemblait sa mère. Elle aurait aimé que Gunar lui parle d’elle, mais, comme la plupart des hommes, il rechigne à laisser paraître ses sentiments.
    — C’est le passé, se contente-t-il de bougonner lorsque Wallah insiste. À quoi bon rouvrir de vieilles blessures ? Je ne suis pas troubadour, je ne sais pas parler de ces choses.
    De son enfance, la jeune fille garde le souvenir d’une fuite confuse et permanente, de nourrices chez qui son père la plaçait pour un temps, jamais assez cependant pour qu’elle s’attache à quelqu’un. Les visages se succèdent dans sa mémoire sans qu’elle soit capable de leur accoler un nom. Elle se souvient de chevauchées nocturnes, de forêts au cœur desquelles on se cachait.
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