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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer
Autoren: Serge Brussolo
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rejet de l’épaule, la hauteur du coude, l’art de mettre la cible en joue en gardant les deux yeux ouverts.
    Sans doute aurait-il préféré transmettre ce savoir à un fils, mais sa femme ne lui a donné que Wallah, ce garçon manqué longiligne et dépourvu de seins. Wallah, qui n’a jamais connu Sigrid, sa mère, morte au lendemain de ses couches de la fièvre puerpérale.
    Wallah s’est appliquée autant que faire se pouvait à ne pas le décevoir. Elle ignore si elle a réussi. Gunar ne fait jamais de compliments.
    Soudain, le père ouvre les yeux. Il est très pâle, du sang mousse au pourtour de ses lèvres.
    Il fixe sa fille avec une expression hagarde, celle qu’il a dû avoir jadis, dans les jeux du lit ou au cœur des tueries. Il s’obstine à parler en norrois.
    — Je ne comprends pas ! sanglote Wallah.
    — À l’instant où je mourrai, répète-t-il, mon talent passera en toi. C’est ainsi… Je continuerai à vivre et à tuer par tes gestes, par tes mains.
    — Tais-toi, supplie la jeune fille. Tu vas guérir. Je vais demander une nouvelle potion à l’empirique de la foire. Il dit que le sang de limace guérit le mal de poitrine.
    — C’est trop tard, s’essouffle Gunar. Fais attention, méfie-toi de Bézélios, ne le laisse pas t’avilir.
    Puis il retombe dans sa stupeur. Wallah l’enveloppe dans la couverture et redescend du chariot. Elle ne peut s’absenter trop longtemps, Bézélios en profiterait pour prétendre qu’elle est paresseuse. De toute manière il lui faut nourrir et nettoyer le « monstre », c’est là sa principale attribution.
     
    Le phénomène unique qui permet à la troupe de survivre s’appelle « l’homme tombé de la lune ». C’est lui qu’il convient de bichonner sans relâche, de chouchouter tel un mioche capricieux.
    Wallah se glisse sous le chapiteau de l’animalerie. La puanteur est un mur invisible qu’elle doit s’obliger à traverser.
    L’homme tombé de la lune est là, recroquevillé dans sa cage. Bézélios, lorsqu’il bonimente, prétend l’avoir recueilli un jour d’éclipse.
    — La créature, explique-t-il, est d’une nature curieuse. Elle s’est trop penchée pour observer ce qui se passait sur la terre, car l’ennui règne en maître sur l’astre des nuits. Perdant l’équilibre, elle est tombée du haut du ciel. Elle a alors poussé un tel cri de frayeur que sa voix s’est cassée. Elle en est demeurée muette. Quand je l’ai recueillie, elle était en train de se noyer dans une mare. N’ayez nulle crainte, elle est douce et mélancolique en dépit de son aspect rébarbatif. Les nuits de pleine lune, elle sanglote en fixant l’astre d’où elle a basculé, et où elle ne pourra jamais remonter… à moins que l’un d’entre vous ne soit en mesure de lui fabriquer une échelle assez grande ! (À cet endroit s’élèvent les gros rires de l’assistance.)
     
    Wallah s’approche de la cage. Au début, naïve, elle croyait qu’il s’agissait vraiment d’un sélénite. Gunar l’a détrompée.
    — Ce n’est pas un humain, lui a-t-il révélé, mais un animal des pays chauds, une imitation maladroite de ce que nous sommes, un raté de la Création, une ébauche sur laquelle les dieux se sont fait la main. On appelle cela un singe, je crois. Il est très facile de duper les gens d’ici car ils n’ont jamais voyagé. Nos ancêtres, les Vikings, ont sillonné les mers, eux. Ils ont abordé à des rivages et visité des contrées dont personne ne soupçonne l’existence. Cette créature tombée de la lune, je crois que son vrai nom est « homme des bois 3  ».
    Bien qu’elle sache la vérité, Wallah aime se raconter que la bête rousse et contrefaite qui se morfond derrière les barreaux a chu du haut du ciel. Pour les anciens Vikings, ce serait un dverg (un nain). Elle l’a baptisé Nori 4 et elle essaye souvent de lui faire répéter son nom, en vain. Le Sélénite semble apprécier sa compagnie, il déplie ses longs membres au ralenti pour lui toucher les cheveux. Le travail de Wallah consiste à l’épouiller, le laver, le brosser et l’habiller en vue de son exhibition publique. Il se laisse faire avec docilité. Bézélios a demandé aux femmes de la troupe de confectionner un costume de « lunatique » que Wallah est chaque fois chargée de lui enfiler. Il s’agit d’une panoplie grotesque rappelant celle des fous de cour, et comportant un bonnet tricorne cousu de
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