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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer
Autoren: Serge Brussolo
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sale… D’ailleurs, les médecins eux-mêmes déconseillent de se laver ; selon eux, crasse et sueur conjuguées contribuent à enduire le corps d’un vernis bienfaisant qui rend les humains imperméables aux maladies.
    Wallah sent que la menace se rapproche. Elle a quinze ans, c’est l’âge du mariage pour les paysannes. À la foire, des filles de douze ans racolent déjà entre les baraques. Dans la troupe, chacun doit contribuer à enrichir le maître. Si au moins Wallah avait un talent ! Quelque difformité amusante qui piquerait la curiosité du badaud. Mais non, elle est bien formée, et Gunar, son père, s’oppose à ce qu’on la mutile. Gunar est le seul membre de la compagnie dont Bézélios a peur.
    Gunar a été soldat, jadis. Archer. Un archer émérite, capable de manier le long bow , l’arc de guerre aussi haut qu’un homme ; celui que les Anglais utilisent pour décocher douze projectiles le temps de compter jusqu’à 60. Lorsque la flèche s’envole, sa puissance est telle qu’elle transperce armures et boucliers. Mais Gunar est tout aussi habile avec l’arc turquois, court et doublement courbé. Gunar a été célèbre en son temps… Aujourd’hui il n’est plus grand-chose. Lors de sa dernière campagne il a été fait prisonnier. L’ennemi, en guise de représailles, lui a sectionné l’index et le majeur des deux mains, les doigts sans lesquels il est impossible de saisir l’empenne de la flèche. Quand on l’a relâché, sa carrière était terminée.
    — C’est la punition habituelle, a-t-il expliqué à sa fille unique. Tous les archers savent qu’elle les guette. Peut-être aurais-je préféré qu’ils me tuent.
    Infirme, il doit s’estimer heureux d’avoir été recueilli par Maître Bézélios, le dompteur de bêtes tortes. Que seraient-ils devenus, Wallah et lui, si les chariots de la troupe ne s’étaient pas arrêtés pour les ramasser ?
    Les moines se méfient de Gunar, ils n’aiment pas sa carrure d’homme du Nord, ses cheveux blonds tissés de gris, ses tatouages à l’encre bleue qui évoquent d’autres dieux : Odin n’a-qu’un-œil, mais aussi le serpent qui fait le tour de la terre, et Fenrir le loup qui mangera le soleil lorsque sonnera l’heure du Ragnarök.
    Les moines gardent rancune à ce peuple voyageur qui jadis, prétendent-ils, pilla les abbayes normandes et massacra les prêtres au pied des autels. Et puis, Gunar, Wallah, sont-ce là des noms qui sonnent chrétien ?
    Quoi qu’il en soit, Bézélios n’ose affronter l’ancien archer.
    — Tu sais pourquoi il m’a engagé ? lance souvent Gunar à l’adresse de sa fille. Parce que ma trogne et ma carrure font peur aux malandrins, aux détrousseurs de grands chemins. Voilà pourquoi il me force à marcher à côté des chariots, enveloppé dans une cape, avec sur le dos une hache à double tranchant que je serais bien en peine de manier avec mes pauvres mains ! Je fais fonction d’épouvantail.
    Wallah l’a deviné dès le début, quand s’est allumée une étincelle calculatrice dans l’œil de Bézélios. D’emblée, le saltimbanque a compris le parti qu’il pourrait tirer de ce géant nordique, au visage d’idole païenne encadré de nattes blondes. Les mains de l’infirme ne constituent pas un réel problème, il suffit de les dissimuler sous un vêtement, ou de cacher l’absence de doigts par des gants rembourrés d’avoine. Bézélios a l’habitude de la tricherie, du maquillage, des tours de passe-passe. C’est son métier. Il reste indéniable que la présence inquiétante de Gunar décourage les malandrins prompts à détrousser les forains au retour des foires, lorsque la cassette de la troupe déborde de bon argent extorqué aux nigauds.
    Enfin… cela, c’était avant, au début… À présent les choses vont moins bien. Gunar est malade, il s’en va de la poitrine. Il tousse et crache rouge dans un chiffon. Il a maigri ; la fièvre ravine ses traits.
     
    Wallah en a pris son parti. Que peut-on attendre d’un royaume coupé en deux, et gouverné par un roi fou 1  ? Un souverain qui, soudain, au cours d’une chevauchée, a perdu l’esprit et, tirant son épée, a voulu massacrer ceux qui l’accompagnaient, ses amis, ses courtisans ? Un souverain qui, depuis des années, se comporte en somnambule et reste parfois des semaines sans proférer un mot ?
    L’Anglais règne par moitié sur la France ; quant à l’autre moitié, les princes du sang
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