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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer
Autoren: Serge Brussolo
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se la disputent à coups d’intrigues et de sanglantes trahisons. À Paris, la corporation des bouchers fait la loi, le dernier soulèvement mené par l’ignoble Caboche s’est soldé par tant d’ignominies que les survivants sont demeurés la proie de cauchemars atroces.
    Oui, ce sont des temps de folie où tout devient possible, même le pire. Surtout le pire…
     
    La foire gonfle et ruisselle comme un porcelet à la broche. Le brouhaha est terrible. Tout se mêle. L’odeur des poulets qui rôtissent et celle de la merde fraîche s’entassant dans les feuillées. La pisse et le cidre, la sueur et le parfum des dames de qualité escortées de leurs valets. Bézélios flaire tout cela avec gourmandise, se réjouissant des bonnes affaires qu’il pressent. Déjà, les nigauds font la queue pour accéder au chapiteau d’exposition. Des cris de surprise et d’horreur fusent à travers la toile rapiécée.
    Wallah en profite pour s’éclipser. Rapidement, elle prend la direction du chariot à l’arrière duquel repose son père. Ce matin il avait la fièvre et délirait dans cette langue qu’il n’a jamais voulu enseigner à sa fille, le vieux norrois. Il récitait une étrange mélopée :
    —  Vindöld, vargöld, áðr veröld steypisk ; mun engi maðr öðrum  yrma…
    Parce qu’il le lui a expliqué, Wallah sait que cela signifie :
     
    Âge de la hache, âge de l’épée,
    Les boucliers seront fendus,
    Temps des tempêtes, temps des loups,
    Avant que ce monde ne disparaisse ;
    Nul ne sera épargné
     
    C’est un très vieux poème qui relate la fin du monde, la mort des dieux, autrement dit le Ragnarök 2 .
    La jeune fille déteste le voir ainsi, abattu, vulnérable. Elle prend un linge, une cruche, et lui mouille le visage pour diluer la sueur.
    Ces derniers temps, sentant sa fin prochaine, Gunar s’est évertué à lui enseigner les secrets de l’archerie, la science des flèches, de la courbure du bois, la magie de la corde, les mystères de l’empennage… Car il a été un grand fabricant d’arcs dans sa jeunesse. Il n’ignore rien des problèmes de trajectoire, de compensation par rapport à la force du vent, de la façon dont il convient de calculer la dérive du projectile en fonction de la distance. Ses mutilations l’ont à jamais privé de la joie de donner naissance à d’autres arcs. Arcs de chasse, arcs de guerre…
    — C’est grande pitié qu’ici, en ce pays, a-t-il souvent confié à Wallah, on tienne l’arc en mépris, sous prétexte que c’est une arme qui tue de loin, donc fourbe. Les chevaliers n’ont de vénération que pour l’épée et l’affrontement au corps à corps, ce qui est stupide. À chaque nouvelle bataille, en dépit de leurs carapaces de fer, ils tombent le nez dans la boue et le sang, vaincus par ces petits morceaux de bois volants qu’expédient nos arcs de manants. Cela s’est vérifié à Crécy, jadis, et encore récemment à Azincourt… Mais c’est le propre de la chevalerie française de ne jamais tirer leçon de ses erreurs.
    « Arme de lâche », « arme méprisable », « arme de vilain »… Wallah a souvent entendu ces mots dans la bouche des nobles lors des joutes villageoises où les paysans rivalisent d’habileté. Et toujours le sourire goguenard, l’œil hautain. Son père a raison, ils ne croient qu’en la lourde épée, le choc frontal, la taille et l’estoc, les coups assénés sur les heaumes qui résonnent tels des chaudrons malmenés. Elle pressent, elle aussi, qu’il est d’autres manières de combattre, plus souples, plus mobiles. Frapper en restant à l’abri, décocher la mort sans s’encombrer de l’énorme carapace des cuirasses, des jambières, rien qu’en maniant ce mince morceau de bois et cette corde ; presque rien, en fait. Un encombrement dérisoire. Quand comprendront-ils cela ? Trop tard.
     
    Le père ne va pas bien. Prisonnier de son délire, il supplie ses dieux nordiques, des dieux rancuniers et irascibles, prompts à la querelle. La jeune fille ne sait que faire. Maintenant que Gunar est à terre, Bézélios ne leur fera plus de cadeaux.
    Elle s’assied près du coffre où Gunar garde ses outils d’ancien maître archer. À l’époque où il était encore en bonne santé, il profitait de chaque halte pour entraîner sa fille dans les bois et l’initier au maniement de l’arc. Il ne pouvait guère l’aider que par la parole, lui indiquer les bonnes positions de mains, le
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