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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer
Autoren: Serge Brussolo
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    La foire est un trou punais , un lieu où l’on peut à son aise, et selon la terminologie des édiles, lascher ses eaues et aysemens…
    La foire bourgeonne au pied des remparts, agglutinant ses tentes aux vives couleurs. Le vacarme est effrayant, les odeurs se font lourdes. La dernière averse a changé le sol en un champ boueux où les badauds piétinent allégrement, crottant chausses, brodequins et pigaches. Les dames, elles, essayent de sauvegarder leurs robes en empruntant les chemins de planches disposés au long des baraques. Les goinfres, gavés de gaufres et de cidre, connaissent les affres de la colique et se soulagent à l’abri de paravents de joncs tressés, ou derrière une tente. Leurs excréments vivifient le fumet ambiant ; qu’importe ! tout à l’heure on lâchera les cochons éboueurs qui s’engraisseront de ces déchets.
    Il y a le cracheur de feu, l’équilibriste, le jongleur, l’homme qui s’enfonce des épingles dans les joues sans cesser de sourire, l’enfant araignée aux membres tordus qu’on peut replier dans un panier d’osier où il tient à peine plus de place qu’un chaton.
    C’est un monde étrange, répugnant, et qui pourtant fascine les visiteurs. On s’ennuie tellement au fond des campagnes !
    Il y a l’homme qui peut rire de l’aube à la nuit sans discontinuer, et dont l’hilarité devient contagieuse. Il y a la jeune fille qui avale les objets qu’on lui tend sans paraître en souffrir, le garçon dont on enflamme les pets, le « cagueur » qui peut chier sur commande un colombin de la longueur souhaitée par les spectateurs, il y a…
    Il y a tellement d’aberrations que la tête vous tourne, le vertige vous gagne, la nausée vous met l’estomac au bord des lèvres.
    Wallah n’a jamais aimé la foire. Elle s’y sent étrangère. D’ailleurs, n’est-ce pas ce que signifie son nom en langue celte ? Wallah… l’étrangère . Celle qui ne sera nulle part à sa place.
     
    Bézélios, « le dompteur de bêtes tortes », parade devant le chapiteau à bandes rouges de la troupe. Bézélios est leur maître à tous, leur seigneur, celui qui peut décider de les chasser du jour au lendemain et les abandonner au bord de la route, condamnant les hommes à la mendicité, les femmes à la prostitution.
    Bézélios a revêtu pour l’occasion sa belle robe de cérémonie rayée de vert. Les habits à rayures sont réservés aux fous, aux parias ; or, la foire est par excellence le jour des fous qui rassemble les parias de tous poils.
    Bézélios aime se donner l’air « égyptien », l’œil souligné de khôl, la barbiche tressée. Sa maigreur est celle des momies bitumineuses qu’on exhume parfois des déserts lointains. Il en joue. Il s’affirme hypnotiseur. Bézélios est un menteur professionnel.
    Ce ne serait pas grave si ses mensonges, ses escroqueries, ne risquaient, un jour, de condamner la troupe au bûcher.
    Wallah recule pour ne point être aperçue du maître, qui ne l’aime pas. Il la considère comme une bonne à rien, une souillon à peine capable de balayer le crottin des animaux. Il y a deux mois, il a forcé Wallah à marcher sur une corde tendue à quatre coudées du sol, espérant faire d’elle une funambule ; elle est tombée, se luxant le bras gauche. Une rebouteuse a remis l’os en place au prix d’une douleur aiguë. Depuis, Bézélios n’a que mépris pour la jeune fille. C’est dangereux. Si elle ne parvient pas à trouver sa place dans la troupe, le maître pourrait envisager de la prostituer. Il suffit pour cela d’une tente et d’un lit de sangles.
    — Va te falloir gagner le pain que tu nous manges ! lui a-t-il jeté au visage le matin même. Dans ma compagnie, personne n’est nourri pour se tourner les pouces.
    Et Wallah a senti le regard de l’homme transpercer ses vêtements, cherchant à deviner ses formes. C’est la raison pour laquelle elle s’applique à s’enlaidir. Les cheveux coupés ras, d’abord, à grands coups de ciseaux, hirsutes, et qui lui font une tête d’épouvantail. Le visage crotté, toujours barbouillé de morve et de graisse à essieux. Les guenilles informes dont elle s’enveloppe et qu’elle trempe subrepticement dans l’urine des animaux de manière à répandre une odeur repoussante…
    Mais ce sont là de pauvres subterfuges qui ne valent pas tripette. Les hommes, quand la fièvre du rut les tient, n’hésiteraient pas à grimper une chèvre ; alors, une fille
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