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La dottoressa

La dottoressa

Titel: La dottoressa
Autoren: Graham Greene
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PRÉFACE
    Ce sont les yeux que l’on n’oublie plus. Ils sont
bleus. On les dirait destinés à Chartres.
    Ils changent de couleur selon le temps qu’il fait et les
heures du jour. Quand ils sont gris, comme le sont parfois le ciel et la mer de
Capri, tout à coup un rai de lumière vient fouailler leur paresse pour y
réveiller l’action. La bouderie têtue du ciel se lève et c’est un embrasement
de vie. Le poids de la grisaille n’était que dans les os vieillis, dans le
vieux corps pesant où se cachent encore l’adolescente qui aurait voulu se faire
nonne, la jeune femme aux innombrables amants (dont même les noms s’emmêlent
parfois dans sa tête). Jeune ? Oui, bien qu’elle eût près de soixante-dix
ans quand se rompit sa dernière liaison.
    Lorsqu’elle bat le rappel de ses souvenirs, les yeux plus
encore que les mots retracent la folle et terrifiante épopée. Rire et pitié de
soi s’y mêlent. Il faut prendre en patience la pitié de soi. Il y avait tant de
raisons de s’apitoyer et l’on ne trouve pas souvent la pitié chez les autres, et
puis le rire revient presque toujours avec le souvenir… surtout lorsqu’elle
parle de ses amants.
    À l’âge de soixante-dix-sept ans, la Dottoressa raconte. Nous
sommes en janvier 1962 ; elle a pris de brèves vacances, quittant Anacapri
où elle ne peut plus exercer sa médecine, et se confie à son ami Kenneth
Macpherson, qui partage beaucoup de ses souvenirs sans pouvoir remonter aussi
loin dans le passé. Qui le pourrait ? Elle a enterré presque tout le monde,
et elle va continuer. Ce sera d’abord son fils cadet, le bien-aimé Andréa, né «  sous le manteau  » ; puis son fils aîné Ludovico, qui
va bientôt mourir ; ensuite son petit-fils chéri, le jeune Andréa, électrocuté
sous ses yeux dans un magasin de chaussures zurichois ; et ses amis, Norman
Douglas, Compton Mackenzie, Cecil Gray (fantômes du Capri d’antan) ; les
ennemis qui l’ont lapidée dans les rues d’Anacapri, où elle était venue se
mettre au service des pauvres ; les médecins qui avaient comploté contre
elle par jalousie… Tous partis de ce monde. Il lui arrive de regretter jusqu’à
ses ennemis. La haine autant que l’amour ont donné du sel à son existence
étrange et désordonnée.
     
    « C’était une époque merveilleuse, cette époque de
souffrances, comparée à maintenant où je suis si mécontente de moi. C’est, voyez-vous,
que je n’ai plus d’occupation qui me comble, ni de vrais grands désirs.
    « Ne me faites pas meilleure que je ne suis ; pour
moi, ça aussi c’est abominable ; ne plus avoir à courir en tous sens pour
aider ces pauvres gens de Capri, qui étaient malades et qui avaient si peur
parce qu’ils ne comprenaient pas.
    « Je ne peux plus rester à ne rien faire au milieu d’une
maisonnée où personne n’est jamais satisfait de moi parce qu’en ces jours
difficiles moi aussi je deviens difficile.
    « Cette souffrance elle vient de ce que je n’ai jamais
rien fait d’autre que de courir chez l’un, chez l’autre, surtout les pauvres, et
parfois en retour ils me donnaient du poisson, ou des fruits, ce qu’ils avaient,
et je le mangeais parmi eux. Oui, c’était un bonheur.
    «  Maintenant j’ai trop peur de faire quelque
chose de travers. Quelle grande escroquerie c’est, de dire qu’on a besoin d’une
compagnie à qui parler. Quand on est ensemble, ça n’est que dispute et silence.
Le silence, je peux le faire encore mieux toute seule, et la dispute me rend
trop malheureuse. Alors, vous comprenez, ça fait que les choses sont ce qu’elles
sont, oui.
     « On me dit que j’aime la dispute. D’accord. Mais il y
a la manière. La mienne n’est pas mesquine. J’ai bien trop aimé ma vie parmi
les gens, bien trop compris pourquoi il fallait que je me dispute avec eux, et
pour eux, et à cause de tout ce qu’ils devaient endurer. Ça n’est pas rien. Se
rendre un tant soit peu utile, c’est mettre une voile à son bateau. Et alors, plus
vite on va et plus tout va bien.
    « Ce qui fait que maintenant je vous dis que les gens à
qui j’ai beaucoup donné, comme médecin aussi bien que de ma personne, ne me
donnent presque rien du tout, eux, aujourd’hui.
    « Même mes propres enfants, en qui j’avais mis tous mes
espoirs pour mon vieil âge, ne sont pas à la hauteur de mes espérances.
    « Jamais il n’arrive qu’on se fasse chaud au cœur
ensemble. Pourquoi est-ce que je n’aspire
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