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La dottoressa

La dottoressa

Titel: La dottoressa
Autoren: Graham Greene
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gens pour leur faire admirer mes chaussures
neuves… et ils levaient le nez et me criaient : «  la ! Tu
en as de la chance, petite. Oh ! les belles chaussures neuves ! »
    Mais qu’est-ce que j’ai besoin de parler de chaussures
neuves  ? Pardonnez-moi, je ne peux pas continuer. Accordez-moi
quelques secondes…
    Dans le cas de mon petit Andréa, de mon petit-fils, ç’a été
aussi une histoire de chaussures neuves. On avait éraflé exprès les semelles
toutes luisantes, pour empêcher qu’il glisse et qu’il tombe. De si bonnes
chaussures, et si solides – il en était tout fier, mais il ne voulait pas
trop le montrer, et moi j’étais à la caisse, je finissais de payer la caissière
de cette boutique de Zurich. Il les avait aux pieds, oui, il les portait. Pour
sortir se promener dans la Bahnhofstrasse, à Zurich. Mais d’abord, pour voir de
quoi ses doigts de pied avaient l’air, il a fallu qu’il regarde dans une de ces
machines à rayons X comme il y en avait dans tous les magasins de chaussures. C’était
le grand chic alors, d’avoir de ces malices de machines. Vous n’en trouverez
plus, maintenant, seulement il a d’abord fallu que ça coûte la vie à mon petit
Andréa. Ma fille criait : « Au secours ! Au secours ! »
Mais quand je me suis retournée, mon petit Andréa était déjà mort. Oui, là, dans
ce magasin de chaussures. Mort, électrocuté… Ma fille criait : « Tu
es médecin, toi, fais quelque chose ! » Mais les médecins ne peuvent
rien pour les morts.
    Arrêtez cette sale machine dans laquelle vous me faites
parler. Je me suis assez fait mal comme ça toute seule. J’ai besoin de marcher
dans la pièce. Il faut m’excuser ; on attend un peu, oui ? Bon…
L’ENFANT SOLITAIRE
    Singerstrasse, c’est là qu’était le salon de coiffure de
Papa. C’était un très joli salon situé au premier, avec entrée séparée au
rez-de-chaussée. Oui, vraiment très joli. Très clair, avec des glaces superbes,
et une bonne, très bonne, clientèle viennoise. Oui, et ensuite l’appartement a
été transféré, du n° 9, Neumarkt, à la Singerstrasse, ce qui a fait que j’ai
passé mon enfance là. Maman continuait à aller coiffer ses dames, et moi je me
suis retrouvée toute seule une fois de plus dans une chambre. Oui, le gros chat
était toujours là.
    Pas de domestique, non. Personne. Toujours absolument seule.
C’est comme ça que j’ai commis diverses choses. Par exemple, découper des
livres d’images et en faire un grand tas et y mettre le feu.
    Mais il faut bien comprendre que ce n’était pas par
méchanceté ; c’était une grande aventure de l’imagination. Il s’en est
fallu de ça que ce soit aussi un désastre ; Maman était très fâchée, elle
a dit qu’un des apprentis aurait bien pu jeter un coup d’œil sur moi entre deux
coups de peigne. Mais personne ne se donnait jamais la peine de venir jeter un
coup d’œil.
    Une autre fois, j’ai mis la main sur la mort-aux-rats, et je
me suis presque empoisonnée. Quand on laisse un enfant seul, au point où on me
laissait moi, c’est le genre de chose qui arrive.
    Mais j’ai aussi des souvenirs merveilleux. Tenez : les
pigeons, c’était fou ce qu’il y en avait ; ils venaient sur le rebord des
fenêtres. Je leur donnais à manger. Non, non, pas de la mort-aux-rats, je ne
voulais plus le voir ce produit-là. Je leur donnais du pain. Il y avait une
meule à repasser les rasoirs, et j’aimais bien la faire tourner, alors je
chipais les couteaux et je coupais le pain avec et, naturellement, je me suis
coupée aussi. Oui, profond. Vous voyez, depuis le début, toujours il y a eu des
accidents. Ceux-là ce n’était rien. C’est plus tard que les accidents graves
sont arrivés.
    C’était une époque merveilleuse, et le plus merveilleux de
tout c’est que, de l’appartement, j’aie pu voir comme jamais la procession de
la Fête-Dieu. C’était la dernière que l’impératrice ait suivie à pied ; jamais
plus on ne la vit marcher dans le cortège. Toute la Cour était là. Celle de l’empereur
et celle de l’impératrice ; toutes les belles dames avec tous leurs
cheveux ondulés et crêpelés par Maman. Ce n’était pas l’impératrice Zita, c’était
l’impératrice Elisabeth, et quelle femme magnifique  ! Et l’empereur,
lui, c’était François-Joseph. Ça se passait en 1888. J’avais trois ou quatre
ans. Oui, c’est à ce moment-là que se situe cette merveilleuse
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