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La dottoressa

La dottoressa

Titel: La dottoressa
Autoren: Graham Greene
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au bonheur qu’avec d’autres gens ?
Pourquoi est-ce que je ne me suffis pas à moi-même ?
    « Même en ce moment, dans cette pièce où il fait bon, avec
toute cette belle musique à la T.S.F., je rêve d’aller rejoindre mes enfants, mes
amis. Mais quand je suis avec eux, bientôt j’aspire à retrouver ma solitude.
    « De vraies satisfactions, je n’en trouve que dans la
nature, la musique, une conférence, un livre, mais au lieu de m’abandonner
entièrement à ce genre de plaisirs, je subis de nouveau l’attirance des gens. J’ai
trop vécu avec eux et pour eux, et de là vient qu’être seule est si difficile, bien
qu’il n’y ait rien de plus beau. Quelle personne terriblement insatisfaite je
suis, jusqu’aux racines de mon être !
    « Même si on accuse moins le coup, la douleur ne
diminue pas, au contraire, et seule la grande fatigue peut l’endormir un peu. C’est
pourquoi je suis toujours à galoper de tous côtés.
    « J’en arrive à avoir le sentiment d’être toute perdue,
du fait que les gens n’ont plus d’importance pour moi. Je ne dois pas songer à
l’avenir, je dois seulement vivre dans le passé, mais toutes ces pensées, tous
ces souvenirs font trop mal. Pourquoi continuer ? Sans personne à aimer
profondément, je ne peux vivre, mais si je trouve quelqu’un à aimer, alors la
fatalité n’aura rien de plus pressé que de me l’arracher une fois de plus. Où
donc aller puiser le courage ?
    « Pourquoi est-ce que je ne peux pas être comme les
autres ? Ils prennent plaisir à être ensemble et à des tas de choses, ils
ne ramènent pas tout à une seule personne. Oui ; j’ai adoré mon
grand Andréa, puis mon petit Andréa, trop. Eux seuls signifiaient
quelque chose pour moi. Eux seuls me donnaient le pur bonheur, la pure
joie. Par deux fois Dieu m’a enlevé mes êtres les plus chéris, et l’un et l’autre
de façon terrible, et que me donne-t-Il en retour ? Encore plus de peine…
    « Ah ! je Vous en prie, rappelez-moi à Vous !
Que pouvez-Vous bien me réserver de plus ? »
     
    Si l’ami à qui elle s’adressait alors avait été prophète,
il eût dit : «  Un grand nombre d’années encore, Dottoressa, et
un lourd surcroît de peine. Je m’en irai bien avant vous. » Devenir
très vieux, c’est entrer au royaume de la mort sans être mort. C’est seulement
quand on demande à la Dottoressa de se souvenir des comédies et des amours
passées que ses yeux bleus s’illuminent d’une joie sexuelle et que son rire
éclate comme une pierre qui se brise. Les souvenirs sont pour elle le refuge
contre la solitude.

PREMIÈRE PARTIE
     
     

LA FILLE DU COIFFEUR
ET DE LA COIFFEUSE
    Vous voulez savoir tout ce qui m’est arrivé ? Depuis le
début ? Si loin que cela ? Santa Madonna !
    Je peux parler comme je veux ? Bon, bon, c’est bien, du
moment que je dois parler. Parce que pour moi il n’y a ni commencement, ni
milieu, ni encore de fin. C’est comme avec un tableau, pour bien le voir on ne
commence pas par un coin ; il faut d’abord avoir la sensation de l’ensemble, ensuite vient l’analyse.
    Mon père était coiffeur ; ma mère était coiffeuse aussi,
de la Cour : elle allait chez les dames, toutes ces dames titrées qui
devaient servir l’impératrice, et c’était elle qui les coiffait.
    Chaque matin, il fallait les friser et faire le nécessaire
pour leurs cheveux.
    Père avait un salon à Vienne, sur la Stefansplatz, juste au
coin de la Singerstrasse, et j’ai été une enfant livrée à ses propres
ressources. Mais un enfant ne peut pas connaître encore la solitude, à cause
des ressources en question, justement. Mon père était tous les matins dans sa
boutique, et ma mère s’en allait coiffer ses dames, et moi je restais seule. Seule
dans l’appartement.
    Autant qu’il m’en souvienne, Maman m’a raconté un jour qu’elle
m’avait retrouvée par terre avec le chat, en train de laper son lait avec lui. Sauf
que moi je ne peux pas faire cuiller du bout de la langue comme les chats. Oui,
c’était un gros matou, mais il ne lui restait plus grand-chose de mâle, le
pauvre.
    Et l’appartement, n° 9, Neumarkt, était une grande maison
qui est peut-être encore debout. Nous, nous étions dans la toute dernière cour
du fond. La troisième. Et là, nous avions ces espèces de pièces avec des
barreaux aux fenêtres. Alors, pour ne pas être trop prisonnière, je laissais
pendre mes jambes et j’appelais les
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