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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure
Autoren: Virgil Gheorghiu
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l’aubergine. Il avait mangé comme un ogre, elle avait à peine touché aux plats, comme un moineau. Trois jours après, les gens avaient appris qu’ils ne quitteraient plus le village, et quelques semaines plus tard, ils avaient acheté l’auberge. À son arrivée Iorgu Iordan ne savait pas un mot de roumain. À présent il le parlait très bien. Mais ils ne s’étaient fait aucun ami au village. Ils avaient même évité d’envoyer Suzanna leur fille à l’école de l’endroit, pour qu’elle ne se liât pas avec les enfants des autres paysans ; Suzanna avait étudié en ville. Les paysans n’apercevaient Iolanda qu’à l’église orthodoxe ou lorsqu’elle allait en ville passant en voiture auprès de Iorgu Iordan, petite et ramassée. Le géant était deux fois plus grand qu’elle. Elle avait des cheveux blonds comme de la soie filée et des yeux bleus.
    Suzanna lui ressemblait à s’y méprendre. C’est tout ce qu’on savait au village sur Iorgu Iordan. Un hiver il avait tué un homme qui voulait pénétrer dans sa maison. Il l’avait tué avec son fusil de chasse, droit entre les yeux. Les gendarmes avaient prétendu que Iorgu Iordan était dans son droit. Il pouvait tuer quelqu’un qui entrait la nuit dans sa maison pour lui voler de l’argent. Les paysans n’étaient pas de l’avis des gendarmes. Un crime est toujours un crime. Mais l’histoire avait fini par s’oublier. Tout cela s’était passé il y avait bien longtemps. Par l’ouverture de la haie Iohann Moritz avait vu la lumière diminuer, trembler un instant, puis s’éteindre. Il mit ses mains en entonnoir autour de sa bouche et appela : Hou ! Hou ! Hou ! Le cri de Moritz déchira l’air. L’écho le répéta, puis le silence se fit. Il ne dura qu’un instant. Des volets s’ouvrirent, Suzanna sauta par la fenêtre. Elle traversa le jardin en courant sur la pointe des pieds. Puis elle sortit de la cour par l’ouverture de la palissade, auprès de laquelle l’attendait Iohann Moritz.
     
     
     
7
     
     
     
    –  Pourquoi as-tu choisi ce cri d’appel ? Pourquoi ce ululement ? Pourquoi ? demanda-t-elle. Elle était arrivée de l’autre côté de la haie, Moritz voulut l’embrasser. Elle l’évita.
    – Je t’ai déjà dit de ne plus crier comme ça. Son cœur battait très fort. Elle était effrayée.
    – Comment voudrais-tu que je crie ? demanda Iohann Moritz.
    – Comme tu voudras, dit-elle. Le cri de la chouette porte malheur. Il annonce une mort.
    – Racontars de vieille femme que tout cela, dit-il. Il n’y a pas un autre oiseau qui chante nuit et jour, par mauvais temps, et l’été comme l’hiver. Il n’y a que la chouette. Tu en connais un autre ? Le rossignol ne chante qu’en été. Si j’imite le chant du rossignol, ton père comprendra que c’est un homme. Tu veux que le géant sache que c’est moi qui t’appelle ?
    – Non, je ne le veux pas, dit-elle, mais la chouette porte malheur !
    – Ce n’est pas ma faute, dit Moritz. Pourquoi n’y a-t-il pas un autre oiseau qui chante en toute saison et à toute heure sans annoncer la mort ? Et puis ne nous disputons plus ; ce soir, je t’ai appelée pour la dernière fois. Dorénavant nous n’aurons plus à nous cacher. Demain matin je pars pour l’Amérique. À mon retour tu seras ma femme. Je n’aurai plus besoin de me mettre derrière la haie et de faire comme la chouette.
    Il la serra contre lui. Elle lui mit les bras autour du cou. Ils se trouvaient sous le noyer là où ils s’étaient rencontrés la nuit d’avant et toutes les nuits depuis quatre mois qu’ils se connaissaient. La femme se fit plus lourde entre ses bras. Il la retint, l’étendit sur l’herbe et s’allongea à son côté. Leurs corps s’entremêlèrent, se nouèrent comme des serpents, comme des lianes. Les mains se cherchaient dans l’ombre. Il rencontra les lèvres de la femme et y appuya avidement les siennes. Ils avaient fermé les yeux. Quelque part, dans le jardin de Iorgu Iordan, les grillons chantaient. Ils restaient enlacés sans rien dire. La robe de Suzanna faisait une tache bleue dans l’herbe. Elle l’avait enlevée pour que sa mère ne la vît pas froissée et tachée. Les nuages d’encre qui avaient couvert la lune s’étaient écartés et les épaules nues de la femme luisaient dans l’ombre. Moritz avait enlevé sa chemise pour la mettre sous le corps de Suzanna. À côté des épaules blanches de la femme, la poitrine de
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