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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure
Autoren: Virgil Gheorghiu
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écrit sur les affiches du camp. Mais nous n’avons pas l’âge prévu par les affiches. Et c’est pourquoi nous nous prions de nous accorder une dispense. Si vous ne nous recevez pas, nous sommes perdus. Nous ne pouvons plus en supporter davantage.
    Le garçon aux yeux noirs fit signe à son père en le touchant au coude. Il voulait lui faire entendre qu’il en avait trop dit.
    Iohann Moritz s’arrêta. Il devint cramoisi. Il se rendait compte qu’il n’aurait pas dû dire les derniers mots. Il avait fait une gaffe. Et peut-être allait-on ne pas le recevoir à cause de cela.
    – Je vous en supplie, recevez-nous ! dit-il. Nous sommes tous de bons travailleurs et nos cœurs sont honnêtes.
    Petre lui avait recommandé de dire bien d’autres choses encore. Mais il ne le voulait pas. Il n’avait pas le cœur de dire qu’il croyait à la Civilisation, à l’Occident et à tout le reste. Il ne pouvait raconter toutes ces histoires-là. Sa bouche se refusait à le dire. Le garçon allait se fâcher et lui dire de gros mots dès qu’ils sortiraient du bureau. Il jetait des regards implorants à la femme aux cheveux roux qui se tenait au bureau. Elle le regardait aussi.
    Un silence suivit.
    La femme qui se trouvait au bureau avait de bons regards chauds et brillants.
    La femme de Iohann Moritz leva, elle aussi, les yeux vers cette dame qui était au bureau. Les enfants aussi. Elle continuait à le contempler et se taisait.
    Le lieutenant Lewis sortit du bureau. Eleonora West gardait le silence et regardait l’homme qui se trouvait devant elle.
    – Connaissiez-vous Traian Koruga ?
    Iohann Moritz tressaillit.
    – Nous avons été ensemble, dit-il.
    Il ne voulait pas parler du camp. Petre le lui avait bien recommandé à la maison.
    – Nous avons été ensemble jusqu’aux derniers moments. Et avec lui et avec le prêtre Koruga. J’ai été à côté de M. Traian jusqu’au moment où ce malheur est arrivé…
    Moritz s’arrêta. Puis il continua.
    – C’était le meilleur homme que j’aie jamais connu. Ce n’était pas un homme, c’était un saint. Vous aussi, vous avez connu M. Traian ?
    – Je suis sa femme.
    Iohann Moritz s’appuya contre la porte. Il devint livide. Il voulut sortir son mouchoir de sa poche. Mais il n’avait pas de mouchoir. Il toucha de ses doigts quelque chose en verre. C’étaient les lunettes de Traian Koruga.
    Il les avait prises le matin même pour leur faire un étui en cuir. Il avait peur de les casser en les mettant dans sa valise.
    Il sortit les lunettes, les garda un moment à la main et pensa qu’il n’était plus nécessaire de leur faire un étui. Il ne les mettrait plus dans sa valise.
    Iohann Moritz mit les lunettes devant Nora West, sur le bureau.
    – Ce sont les lunettes de M. Traian.
    Il toussa. Sa voix était enrouée.
    – Il me les a données avant sa mort pour que je vous les apporte. Il me les a données tout juste avant qu’il…
    La voix de Iohann Moritz était tremblante. Il ne pouvait plus parler. Il chercha de nouveau son mouchoir. Il ne trouva que le morceau de cuir dont il voulait faire l’étui pour les lunettes. Il le tira de sa poche. Il ne savait que faire. Et pour faire quand même quelque chose, il posa le bout de cuir sur la table, à côté des lunettes.
    – J’ai voulu leur faire un étui en cuir, dit-il. Pour qu’elles ne se cassent pas. J’ai assez de temps dans le camp pour pouvoir y travailler. Vous les garderez dans l’étui. Cela vaut mieux. Elles ne pourront pas se casser.
    – Vous êtes-vous enfin persuadée que c’étaient des vrais volontaires et qu’ils venaient s’engager avec enthousiasme ? demanda Mr. Lewis en entrant dans le bureau.
    Il regarda Suzanna. Il regarda le petit enfant. Et il se rembrunit. Des larmes lui montèrent aux yeux. Maintenant qu’on lui avait ordonné de rire il n’en pouvait plus. Maintenant il sentait qu’il allait éclater en sanglots comme une femme. Avec désespoir. C’était la fin. Il ne pouvait plus aller plus loin. Aucun homme n’aurait pu aller plus loin.
    –  Keep smiling ! ordonna l’officier les yeux fixés sur Iohann Moritz. Smiling ! Smiling ! Keep smiling !…

 
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
    IMPRIMÉ EN FRANCE PAR BRODARD ET TAUPIN 6, place d’Aheray – Paris. Usine de La Flèche, le 25 01-1972.6743-5 – Dépôt légal n° 1308,1" trimestre 1972.1" Dépôt : T trimestre 1956. Le Livre de
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