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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure
Autoren: Virgil Gheorghiu
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l’écoutait plus. Il pensait aux barbelés de Dachau, de Heilbronn, de Kornwestheim, de Darmstadt, Ohrdruf, Ziegelheim, aux barbelés des trente-huit camps où il avait été enfermé toutes ces dernières années, de ces camps où le prêtre Alexandru Koruga et Traian étaient morts, de ces camps où il avait failli mourir de faim.
    Il sentait tous ces barbelés lui entrer dans le cœur.
    " Je n’aurai été libre que dix-huit heures, pensa-t-il. Maintenant j’entre de nouveau dans un camp. Mais cette fois-ci je ne suis plus arrêté en tant que juif, Roumain, Allemand, Hongrois ou S. S. mais en tant que ressortissant d’un pays de l’hémisphère oriental. "
    Les larmes lui montèrent aux yeux.
    – Tu ne fais pas tes bagages, père ? demanda Petre. Il était enthousiasmé à l’idée de partir.
    – Je suis prêt à partir, dit Iohann Moritz. Depuis treize ans je ne fais que déménager d’un camp à l’autre. Cela fait treize ans que je suis toujours prêt à partir. Tu vas t’y habituer aussi. Je te plains, mais tous les hommes devront s’y habituer. Ils ne verront plus désormais que des camps, des barbelés et des convois. J’ai passé par cent cinq camps. Celui-là sera le cent sixième. C’est dommage que je n’aie été libre que dix-huit heures ; qui sait si je vais encore avoir une seule heure de liberté avant de mourir.
    Iohann Moritz regarda Suzanna et lui dit :
    – Mais cela a été vraiment beau. Maintenant je peux mourir. Je n’osais pas croire que je vivrais encore des heures aussi belles. Cela a été tout comme à Fântâna, n’est-ce pas, Suzanna ?

ÉPILOGUE
     
     
     
    –  Mrs. West je voudrais vous entretenir d’une question personnelle.
    Eleonora West déposa sur la table le dossier qu’elle tenait entre les mains et regarda le lieutenant Lewis.
    Il était assis à son bureau, les jambes croisées, adossé à la chaise et il fumait.
    Lewis était le chef du bureau de recrutement des volontaires étrangers. Nora West était fonctionnaire et interprète au même bureau. Elle travaillait depuis six mois aux côtés du lieutenant Lewis. " Pourquoi ne porte-t-il pas de fixe-chaussettes ? " se demanda Eleonora West tout en regardant les chaussettes de Lewis qui s’enroulaient en tire-bouchon autour de ses mollets. " Pourquoi s’assied-il comme s’il était à cheval sur sa chaise ? Comme les marins dans un port ! Lewis est cependant un jeune homme qui appartient à une bonne famille et qui est passé par l’université. Quel que soit le degré d’émancipation d’une société, il ne devrait pas être permis de montrer dans un bureau ses jambes à une femme. "
    Nora West se sentait comme giflée chaque fois que Lewis lui tendait la main, en gardant sa cigarette à la bouche, ou qu’il lui jetait un dossier sur la table, comme on jette un os à son chien.
    Le lieutenant Lewis ne soupçonnait pas ce que pensait Nora. Au contraire, il était convaincu qu’elle avait de l’admiration pour lui. Mais ses regards étaient toujours craintifs.
    – Je vous écoute, dit-elle.
    – Mrs. West, acceptez-vous d’être ma femme ?
    Le lieutenant Lewis se cala davantage sur sa chaise et commença à se balancer. La chaise ne tenait plus que sur deux pieds.
    –  Je n’accepte pas de devenir votre femme, Mr. Lewis.
    – Vous avez d’autres projets d’avenir ?
    – Non, je n’ai pas d’autres projets d’avenir, dit-elle. Mais ma réponse est : Non.
    Nora West ouvrit le dossier. Mais elle ne pouvait plus travailler. Ses yeux regardaient le dossier, mais sa pensée était ailleurs.
    Elle était restée deux ans dans le camp, puis elle avait été relâchée automatiquement de la même manière dont elle avait été arrêtée.
    Lorsqu’elle était sortie du camp, elle n’avait plus d’argent, plus de robes, plus de bijoux. Même pas son alliance. Tout avait été confisqué. Ses dépôts d’argent à l’étranger avaient été, eux aussi, confisqués. Elle était pauvre comme Job. On lui avait communiqué que Traian était mort. Suicidé. C’est tout. Elle n’avait pas pu en savoir davantage. Elle ne pouvait pas retourner chez les Russes. Elle ne pouvait pas partir plus loin. Elle était restée en Allemagne. Elle avait travaillé à un journal comme traductrice. Puis l’ordre d’interner tous les ressortissants de l’hémisphère oriental avait été donné. La guerre avait été déclarée. Et on l’avait de nouveau internée. Automatiquement. Mais ce
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