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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure
Autoren: Virgil Gheorghiu
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détacher.
    – C’est la robe que tu portais, cette nuit-là, n’est-ce pas ?
    Moritz regardait la robe bleue décolletée que Suzanna portait la nuit où Iorgu Iordan avait tué sa mère. Suzanna portait cette robe lorsqu’il l’avait emmenée chez ses parents, chez Aristitza qui n’avait pas voulu les recevoir, chez le prêtre Koruga dans la petite chambre près de la cuisine. Au début, Suzanna n’avait que cette robe. Rien d’autre. Même pas de chemise. Et durant quelques semaines, elle n’avait porté que cette robe bleue. Elle ne l’enlevait que la nuit pour dormir toute nue. Par la suite, elle avait pu se faire d’autres robes. Mais c’est cette robe-là qu’elle considérait comme la plus belle. Et c’est cette robe que son mari aimait le plus. C’est au moment où Suzanna la portait qu’ils avaient passé leurs plus belles semaines d’amour.
    – Je ne l’ai plus mise depuis que tu es parti de Fântâna, dit Suzanna. Le jour où ils t’ont arrêté je me suis juré de ne plus la mettre jusqu’au moment où je te verrais entrer par la porte. Pendant treize ans je l’ai emportée partout avec moi, et pendant treize ans je t’ai attendu sans cesse. Mais je ne l’avais jamais remise avant aujourd’hui.
    Suzanna baissa les yeux, toute honteuse. Puis elle leva la tête et ses regards rencontrèrent ceux de Iohann.
    Iohann Moritz aurait voulu la prendre sur ses genoux. Il aurait voulu lui dire simplement : " J’ai langui de toi. "
    Mais il ne lui dit rien.
    Il alluma une autre cigarette et il regarda les enfants qui dormaient. Puis il regarda de nouveau Suzanna. Elle n’avait pas du tout changé. Son visage était un peu ridé. Sa peau avait perdu de sa fraîcheur. Ses cheveux s’étaient décolorés. Ils avaient pris la couleur du chanvre. Les seins étaient tombés. Mais elle était la même que par le passé. Iohann Moritz n’avait jamais cru qu’il allait retrouver la même Suzanna, sa Suzanna de Fântâna. Treize ans c’était un bail.
    – Je voudrais me promener un peu, dit Iohann Moritz.
    Mais il ne se leva pas. Il attendait que Suzanna le fasse la première.
    – Est-ce que je peux venir avec toi ? demanda-t-elle.
    Il ne répondit pas. Mais il attendit qu’elle s’habille.
    Puis ils sortirent de la pièce sur la pointe des pieds pour ne pas être aperçus des enfants.
    Ils avaient un peu honte.
    En descendant les escaliers, leurs épaules se touchèrent à deux reprises. Pendant un bon bout de temps, ils ne se parlèrent pas.
    Le ciel était sombre. Moritz aurait voulu voir la rue principale. Elle l’y conduisit.
    Devant une vitrine illuminée, elle lui prit la main pour lui montrer une paire de souliers qu’elle aurait voulu lui acheter. Et ils partirent plus loin. Mais leurs mains restèrent l’une dans l’autre. Ils regardèrent d’autres vitrines encore. Ils ne parlaient ni du camp, ni de leur maison de Fântâna, ni du passé. Ils voulaient avoir une soirée bien à eux. Sans souvenirs douloureux.
    Je vais me reposer pendant deux jours, puis je chercherai du travail, dit Iohann Moritz. Peut-être Petre pourra-t-il me faire entrer dans son atelier.
    Tu vas te reposer d’abord quelques semaines, dit Suzanna. Et tu ne chercheras du travail qu’après. Maintenant tu es encore trop faible. Moi et Petre nous gagnons assez pour avoir de quoi vivre. Moi je lave du linge. J ’ai une bonne clientèle.
    File lui serra la main encore plus fort. Il aimait la manière dont elle s’y était prise pour lui dire qu’il devrait ne reposer.
    Ils étaient arrivés aux portes de la ville. À droite et à gauche du chemin il y avait des prairies. Et il faisait noir.
    – On se croirait à Fântâna, dit Iohann Moritz.
    –  C’est vrai, répondit-elle.
    Ils reprirent leur promenade. Ils pensaient aux nuits de Fântâna. Au cri de la chouette. Ils pensaient tous deux à la même chose.
    – J’ai mal aux pieds, dit-il. Tu ne veux pas que nous nous asseyions un moment ?
    Ils entrèrent dans un jardin et ils se mirent sur l’herbe.
    – C’est comme à Fântâna, dit-il en s’étendant sur le dos dans l’herbe, les mains sous la tête.
    Puis il se retourna et mit son visage dans l’herbe.
    – Sens l’herbe, Suzanna ! C’est l’odeur de l’herbe dans le jardin de derrière votre maison. Tu sais bien, le jardin où nous nous rencontrions la nuit…
    Elle se pencha et sentit l’herbe. Son cœur battait très fort. Elle ne pouvait pas lui répondre. Sa voix
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