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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure
Autoren: Virgil Gheorghiu
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Moritz était sombre comme l’écorce d’un arbre.
    – Iani, dit-elle, ne pars pas.
    – Pourquoi me dis-tu ça ? répliqua-t-il assombri. Tu sais bien que si je ne pars pas pour l’Amérique, je n’aurai pas de quoi acheter le champ. Si je n’ai pas de terre on ne pourra pas se marier. Où veux-tu que nous allions si nous n’avons ni maison, ni terre. Dans trois ans, je suis de retour avec l’argent, et nous nous marions. Ne veux-tu pas m’épouser ?
    – Je le veux, dit-elle. Mais je ne veux pas que tu partes.
    – Et avec quoi veux-tu que j’achète la terre ?
    Iohann Moritz se mit à sourire.
    – Tu sais que j’ai déjà donné des arrhes à Nicolae Porfïrie pour la terre ? À mon retour, je lui donnerai le reste.
    Iohann Moritz raconta comment il avait donné de l’argent à Porfïrie, comment il était allé voir le terrain, comment il allait construire la maison, l’étable et tout.
    – Iani, si tu pars, tu ne me retrouveras plus vivante à ton retour, dit Suzanna sans écouter son récit.
    – Qu’est-ce qui te prend ? Moritz était fâché pour de bon.
    – Rien. Quelque chose me le dit. Tu peux ne pas me croire. Mais à ton retour je serai morte.
    – Non, tu ne seras pas morte, répondit Moritz. Tu seras chez ton père et chez ta mère comme aujourd’hui. Je n’ai pas de souci à me faire. Tu n’es pas seule. Tu n’es pas chez des étrangers, tu es chez tes parents.
    Elle commença à pleurer doucement.
    – Qu’as-tu ? lui demanda-t-il. Il l’embrassa. Les lèvres de la femme étaient froides et mouillées de larmes salées. Qu’est-ce qui te prend ?
    – Tu diras que ce sont encore des idées de folle. Des idées de femme. Il vaut mieux que je ne t’en dise rien.
    – Je ne dirai pas que ce sont des idées de femme.
    – Je crois que mon père veut me tuer, dit-elle.
    – Qu’est-ce qui t’a fourré ça dans la tête ?
    Sa voix était dure.
    – Comment veux-tu que ton père te tue ?
    – Je savais bien que tu n’allais pas me croire. Mais moi je tremble de peur. Je sens qu’il va le faire. Mon père s’est aperçu de quelque chose. Je ne sais pas comment. C’est pour ça qu’il veut me tuer.
    – Ton père s’est aperçu de quoi ?
    – De notre amour.
    Iohann Moritz s’écarta d’elle. Le corps de Suzanna était clair comme du marbre dans l’herbe.
    – Il t’en a parlé ? demanda-t-il.
    – Non.
    – Il t’a grondée ?
    – Non.
    – Alors d’où sais-tu qu’il s’en est aperçu ?
    – C’est mon cœur qui me le dit.
    Elle pleurait très fort.
    – Mais ça n’est pas seulement mon cœur. Aujourd’hui à déjeuner quand j’ai apporté les plats à table, mon père m’a regardée d’une drôle de façon. Un regard de haine. Puis il a crié : " Tourne-toi contre le mûr ! " Je me suis retournée. J’ai senti son regard se promener sur mes hanches. Puis il m’a dit : " Tourne-toi contre la fenêtre ! " Il m’a regardée encore très longuement. De profil. Il a fixé mon ventre. Mes hanches. Il m’a regardée comme il regarde ses chevaux. Et il a crié en colère : " Sors d’ici, roulure ! " Il n’a plus mangé. Je suis sortie. À ce moment-là j’ai su qu’il s’était rendu compte. Il sait tout. Mon père m’a déjà grondée quand j’étais petite, il m’a même frappée. Il m’a frappée jusqu’au sang. Mais il ne m’a jamais dit " roulure ". Aujourd’hui à midi il a crié : " Sors d’ici, roulure ! "
    –  Comment a-t-il pu apprendre ? demanda Moritz. Il ne nous a jamais vus ensemble.
    – Il ne nous a jamais vus, mais il est au courant !
    – Mais d’où peut-il le savoir ?
    – Rien qu’en me regardant.
    Iohann Moritz se mit à rire, et l’embrassa sur le front.
    – Il aurait pu te regarder avec une paire de jumelles qu’il n’aurait rien vu. Tu crois que ça se voit comme ça quand on a fait l’amour ? Tout ça c’est de la blague !
    – Je sais bien que ça ne se voit pas d’habitude, mais mon père ce n’est pas la même chose. Il le sait bien pour ses juments. Rien qu’à les regarder, il peut dire si elles ont des poulains. Ses amis n’en reviennent pas.
    –  Des fois que tu serais enceinte ?
    – Non, je ne le suis pas.
    – Alors, il n’y a pas de danger, dit-il. Dans deux ou trois ans je serai de retour avec l’argent. Nous achèterons la terre, nous nous marierons à l’église du prêtre Koruga. Nous bâtirons une belle maison et nous serons heureux.
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