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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure
Autoren: Virgil Gheorghiu
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prêtre, je ne regrette pas de ne pas être parti il y a trente ans ? Et si je ne le regrette pas, alors pourquoi cette étrange fièvre, aujourd’hui que part Iohann Moritz ? " Et maintenant la couverture à lui, il pensa : " Ce n’est pas le regret d’être demeuré. C’est la nostalgie d’une chose que nous croyons vraie dans notre illusion, une chose que nous ne posséderons jamais. Et si nous la touchions, nous nous apercevrions bien vite que ce n’était pas là ce dont nous rêvions. Peut- être l’Amérique n’est-elle pas ce que je cherchais vraiment. Peut-être n’était-ce qu’un prétexte à mon inquiétude. L’Amérique est une invention de notre nostalgie. Ne pas l’avoir connue pourrait bien être moins décevant que de l’avoir vraiment connue. "
    Et cependant le prêtre Koruga ne pouvait s’endormir. Il était ému. Il attendait avec impatience que le jour se lève comme si c’eût été lui qui devait vraiment rencontrer Ghitza Ion à l’entrée du village et aller à Constantza où les attendait le bateau " qui ne devait rester que trois jours au port "
    Lorsqu’il se réveilla, il faisait encore nuit. Mais le chant des coqs annonçait déjà le soleil. La route était déserte, le village couvert d’une brume blanchâtre. Le prêtre défit le sac et y mit le paquet de cigarettes qui se trouvait sur la table. " Si Iohann part, je n’ai personne à qui offrir de cigarettes, je les ai achetées pour lui ", se dit-il. Par la fenêtre il voyait déjà poindre le jour. " Il faudrait qu’il se dépêche pour ne pas être en retard au rendez-vous. " Il entendit des pas sur la route. Mais ils dépassèrent la maison et se perdirent dans le lointain. Il sortit sur le balcon et se lava à l’eau froide. Mais Moritz n’était pas là pour lui verser l’eau.
    Le soleil se leva. Iohann Moritz n’était pas venu. Le prêtre l’attendit jusqu’à l’heure du déjeuner. Puis il se dit que Moritz avait dû se réveiller trop tard et n’avait plus eu le temps de passer prendre le sac. " C’est dommage, se dit-il, il avait de quoi manger pendant au moins trois semaines. Cela lui aurait suffi pour les premiers jours là-bas aussi. "
    –  Tu viens déjeuner, Alexandru ? dit sa femme.
    Elle apparut sur le seuil.
    – Tout de suite, répondit le prêtre. Il fourra le sac sous le lit avec un serrement de cœur, avec le regret de devoir renoncer à une chose, et y renoncer pour toujours. Sa dernière chance d’arriver en Amérique, tout au moins by proxy, était perdue. Trente ans auparavant, il avait eu le même geste. Il passa à table.
    " Si Iohann Moritz avait pris ce sac que je lui avais préparé, j’aurais eu l’impression de partir moi-même. Qui facit per alium facit per se. Dommage qu’il ne soit pas venu ", se dit-il.
     
     
     
4
     
     
     
    En sortant de chez le prêtre, Iohann Moritz s’arrêta devant la fontaine du bord de la route. Il se lava à grande eau, puis se dirigea de l’autre côté du village où habitait Nicolae Porfïrie. Nicolae Porfïrie avait une terre à la lisière de la forêt. Il voulait la vendre. Moritz pénétra dans la cour.
    – Demain je pars pour l’Amérique, dit-il. À mon retour j’aurai assez d’argent pour acheter ce lopin de terre. Mais avant de partir je veux te donner des arrhes pour que tu ne le cèdes à personne d’autre.
    – Combien de temps passeras-tu là-bas ? demanda le paysan.
    – Jusqu’à ce que j’aie mon compte. Deux ou trois ans.
    –  Oui, trois ans suffisent. Personne n’est resté plus de trois ans. En Amérique on gagne facilement de l’argent.
    – Combien veux-tu ? demanda Moritz.
    – Je n’ai pas besoin d’argent. Si tu reviens dans trois ans avec 50 000 lei tu auras mon champ. Je ne le céderai à personne. Je t’attendrai.
    Mais Moritz tira de la poche de son pantalon une liasse de billets et les compta sur le seuil de la maison.
    – Voilà 3 000 lei ! dit-il. Il vaut mieux que tu aies des arrhes.
    Iohann Moritz serra la main de Nicolae Porfïrie ; le marché était conclu. Il partit. Il ne faisait pas encore sombre. Il voulait voir le terrain. Il l’avait déjà vu maintes fois. Il le connaissait très bien, mais à présent c’était une autre histoire. À présent ce champ lui appartenait ; il n’avait qu’à venir avec l’argent.
     
     
     
5
     
     
     
    Iohann Moritz coupa à travers champs. Il marchait à grands pas. Sa chemise collait à la peau en sueur. Il
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