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Bataillon de marche

Bataillon de marche

Titel: Bataillon de marche
Autoren: Sven Hassel
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n’avaient bougé une paupière lorsque la salve de la mitrailleuse s’était abattue sur le bois.
    Le major irrité réitéra sa question. Barcelona le contempla longuement, attentivement, avant de répondre. La réponse, c’était visible, jeta le trouble dans l’âme des membres du conseil de guerre.
    – Faites encore dix mètres, major, si vous voulez dire bonjour aux collègues. D’ici à l’ancienne position où nos chars étaient en hérisson, il y a plusieurs couches de cadavres d’imbéciles qui ont chatouillé Ivan en se montrant sur la levée en plein jour. Nous, on a à aller beaucoup plus loin, car maintenant c’est Ivan qui est dans le Hérisson et il faudra littéralement le traverser pour rejoindre le bordel.
    – Le quoi ? bégaya le major.
    – Le bordel. Là où est La position, répondit Barcelona hilare ; c’est-à-dire où il y a les copains avec les poules à attendre l’ennemi.
    Les membres du conseil de guerre se regardèrent. Ce langage était de l’hébreu.
    – Pourquoi vous êtes si pressés ? murmura Petit-Frère tandis qu’il soufflait sur une fleur de pissenlit. Ici, c’est pas dangereux. De l’autre côté du marais, c’est la mort du héros et le charnier. – Il souffla très haut la dernière graine en imitant le bruit d’un chasseur à réaction qui décolle. – Nous sommes cernés, dit-il lorsque le petit parachute s’envola. Et ce fut comme s’il confiait à l’assistance un secret prodigieusement divertissant.
    – Cernés ! fit le major en se frottant les mains avec anxiété.
    Sans s’occuper plus avant du major, Petit-Frère et Barcelona se mirent à discuter de leurs préférences culinaires à base de lard et de fayots. Petit-Frère hochait la tête :
    – Et n’oublie pas d’y fourrer de gros oignons entiers. Mais quand on marche contre le vent et en fin de colonne, si la compagnie s’en est mis plein la lampe… Fmmm !
    – Quels porcs ! murmura le colonel avec dégoût en prenant de la distance.
    Au même moment, du sud-est un hurlement monta. Un long hurlement, tel le rugissement d’un orgue qu’on n’aurait pu définir et qui s’entendait à plusieurs kilomètres. La chose ulula deux ou trois fois. Puis, tout d’un coup, jaillit le cataclysme d’un orchestre de centaines d’orgues qui, tous, hurlaient en basses profondes.
    Une paralysie totale s’abattit sur tout le secteur du front. Les tireurs d’élite baissèrent leurs fusils ; les servants des mortiers de tranchées se rapprochèrent les uns des autres comme s’ils cherchaient une mutuelle protection ; le mot « Feu ! » mourut sur les lèvres des officiers, et le nez de Petit-Frère piqua dans la boue. Le feldgendarme découvrit des gencives de chien malade ; le major grattait le sol de son pied comme pour trouver un abri dans le marais puant. Le colonel, oubliant l’être malodorant qu’était Petit-Frère, se collait instinctivement contre lui, et Dieu sait cependant s’il empestait ! Il y avait bien un an qu’un morceau de savon ne l’avait approché à distance raisonnable.
    Le géant sourit en regardant les cheveux blancs légèrement parfumés du juriste sur lesquels se promenait une mouche. Une grosse mouche bleue. Petit-Frère eut du mal à ne pas cracher sur la mouche. Un record s’il l’atteignait ! Mais il vit les yeux du colonel plantés dans les siens. C’étaient les yeux d’un vieil homme où se reflétait la terreur de ce qui allait arriver.
    Et la chose éclata en geysers de feu. Un grondement gigantesque emplit la nature, tel un tremblement de terre fuyant sous vos pas. Les arbres fauchés s’abattaient dans un éclaboussement boueux. Une batterie de campagne entière jaillit un instant comme un tourbillon : les canons, les hommes, les caissons, les voitures furent jetés en l’air et retombèrent en un énorme tas de ferraille. Une troisième salve atteignit un bataillon disciplinaire d’infanterie motorisée qui était en position dans un repli du terrain. Cela dura à peine cinq minutes, et du bataillon il ne resta qu’une section et un officier – un officier avec un œil arraché. C’était un tout jeune lieutenant fraîchement arrivé au front. Il en devint presque fou.
    Mais tout cela, Petit-Frère et les autres l’ignoraient. Ils entendaient seulement derrière eux les hurlements de cet enfer. Petit-Frère gisait comme mort, la tête enfoncée dans la boue, et tellement éclaboussé de vase par la chute des
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