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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille
Autoren: James Welch
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endroit même. Et cet accident banal avait modifié tout le cours de son existence.
    Eperdu, bouleversé, il vit les autres participants – cow-boys, soldats, vaqueros et d’autres hommes en uniforme – rejoindre les Indiens et Buffalo Bill. Ensuite, deux cavaliers, un Indien et un soldat, se détachèrent du groupe et effectuèrent le tour de la piste de manière à ce que les drapeaux américain et français qu’ils portaient au bout d’une hampe claquent au-dessus de leurs têtes, puis ils vinrent se placer de part et d’autre de Buffalo Bill. Tous les spectateurs se levèrent, et Charging Elk les imita. Il plaqua la main sur son cœur, mais il entendit à peine le Cowboy Band interpréter les deux hymnes nationaux.
    Il connaissait parfaitement les numéros des Indiens : l’attaque de la cabane des pionniers, l’attaque avortée contre le courrier du Pony Express, l’attaque de la diligence de Dead-wood, la chasse aux bisons et, pour finir, le massacre de Custer et de ses hommes. Il y avait néanmoins une nouveauté : Pahuska, jouant le rôle d’un éclaireur de l’armée, se glissait au milieu d’un groupe de faux arbres et de buissons où un Indien lui tendait une embuscade. Après un combat au corps à corps, Buffalo Bill tirait un couteau, le plongeait dans le cœur de son ennemi, puis s’agenouillait à côté de son cadavre et, après s’être escrimé, dissimulé par les fausses broussailles, il brandissait le scalp sanglant de l’Indien. Le présentateur déclarait alors : « Le premier scalp pour Custer ! » Et le public applaudissait et tapait des pieds, faisant trembler les gradins. Charging Elk se rappelait la véritable bataille contre Custer sur l’Herbe Grasse, la terreur qui s’était emparée du village quand les soldats avaient attaqué. Agé à l’époque de dix hivers, il s’était caché en compagnie de sa mère, de son frère et de sa sœur parmi les peupliers qui bordaient la rivière, écoutant les détonations des fusils et regardant l’épais nuage de poussière soulevé par les centaines de chevaux planer au-dessus du village. Il s’imaginait encore le voir qui obscurcissait le soleil.
    Charging Elk avait bien observé les Indiens, espérant qu’il y en aurait de son âge, mais la plupart étaient beaucoup trop jeunes pour avoir appartenu à la troupe en 1889. Aucun n’éveillait le moindre écho dans son souvenir. Le présentateur avait annoncé que le chef des Indiens s’appelait Queue de Fer, mais il n’avait jamais entendu parler d’un Lakota nommé Iron Tail.
    Il assista aux autres numéros : Buffalo Bill tirant sur des boules de verre lancées en l’air, les voltiges exécutées par les cow-boys, les manœuvres bien huilées de différentes unités de soldats, une jeune femme qui, tenant un miroir devant elle, coupait en deux d’une balle de revolver une cigarette entre les lèvres d’un homme debout derrière elle, et un vaquero en costume brillant et grand chapeau décoré qui jouait du lasso. Et quand la troupe entière se présenta pour la parade, il étudia de nouveau les Indiens pendant qu’ils défilaient au trot devant la tribune, assez près pour qu’il distingue leurs visages. Le seul membre de la troupe qu’il connaissait, c’était Buffalo Bill.
    Suivant des yeux le vieil homme aux cheveux argentés qui, chevauchant en tête, quittait la piste, Charging Elk se demanda si Pahuska le reconnaîtrait. Il avait espéré retrouver des Lakotas restés avec Buffalo Bill tout au long des seize années écoulées, mais il n’avait pas pensé à Buffalo Bill lui-même. Il se rappelait le soir à Paris où Black Elk était réapparu au village indien derrière le chapiteau, comment il avait été accueilli et fêté, comment Buffalo Bill avait essayé de le convaincre de se joindre de nouveau à eux. Charging Elk, bien qu’épuisé nerveusement par l’intensité avec laquelle il avait regardé le spectacle, sentit son cœur battre dans sa poitrine avec un regain d’énergie. Buffalo Bill l’avait déjà reconnu une fois, sur le quai d’une gare quelque part entre Paris et Marseille. Il l’avait félicité d’être un Indien « sauvage. » Pahuska le reconnaîtrait-il aujourd’hui ? Certes, Charging Elk n’était plus cet Indien sauvage du Bastion. Il n’était plus aussi jeune ni téméraire, et il n’avait plus vu personne de son peuple depuis de nombreuses années, sauf dans son cauchemar. Le souvenir fugitif de son mauvais
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