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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille
Autoren: James Welch
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de la vallée. Les soldats le menaient doucement, mais quelques chevaux, nerveux, renâclaient et hennissaient. Ils n’étaient pas habitués à l’odeur de ces hommes blancs.
    Le garçon sentit le travois s’ébranler avec une secousse, puis se mettre en mouvement, tandis que les perches produisaient comme un sifflement en creusant des sillons dans la terre. Il se laissa glisser au sol et alla trotter à côté du cheval que montait sa mère, un grand rouan qui tirait sa charge sans effort. L’enfant leva les yeux sur sa mère et constata qu’elle avait les joues mouillées. Il s’apprêtait à lui demander qu’elle l’installe en croupe derrière elle, mais à la vue de ses larmes, il se ravisa. Bien que le long voyage depuis le pays de la Powder River eût été pénible, il n’avait pas véritablement pris conscience de ce qu’il signifiait. Maintenant, il comprenait. Il comprenait que ces wasichus faisaient pleurer sa sœur, son frère et sa mère. Il comprenait que son père et les autres hommes ne combattraient plus. Il comprenait que son peuple ne serait plus autorisé à retourner sur les prairies à bisons. Ils étaient prisonniers. Ce qu’il ignorait, par contre, c’est ce qu’ils allaient devenir.
    Pendant qu’il regardait autour de lui les Indiens qui, jeunes et vieux, avançaient à pied ou montés sur des chevaux aux robes de diverses couleurs, et que la poussière soulevée par les sabots et les perches des travois poudroyait, il se sentit tout petit et eut également envie de pleurer. Au moment où il était près de s’abandonner aux larmes, il entendit un bruit léger, bizarre, qui provenait de l’avant, des chefs. Il sut alors de quoi il s’agissait. Les braves s’étaient mis à chanter, et toute la tribu, bientôt, les imita.
    Il courut pour rattraper sa mère. Il vit que ses lèvres à elle aussi bougeaient, et son cœur bondit dans sa poitrine. C’était un chant de paix qu’ils chantaient, mais pour l’enfant, c’était davantage un chant de victoire. Descendant la colline, il sentait au travers de la mince semelle de ses mocassins chaque caillou, chaque touffe d’herbe, et sur ses épaules nues, les rayons ardents du soleil. Il chantait à présent.
    Dans la vallée, il apercevait le fort, les bâtiments en rondins, le drapeau rouge, blanc et bleu de l’Amérique qui pendait en haut d’un mât, les rangées de soldats, leurs fusils munis de couteaux d’acier à l’épaule, les milliers d’Indiens qui occupaient la plaine. Il n’avait plus peur. Ces Indiens-là étaient vivants – et ils chantaient. La vallée entière vivait et chantait ce chant de paix, un chant que le garçon n’oublierait jamais.

1
    Charging Elk ouvrit les yeux et ne vit que les ténèbres. Il faisait un rêve. Il scruta l’obscurité et, l’espace d’un instant, il crut ne pas être revenu. Mais revenu d’où ? Et où était-il ?
    Il était couché sur le dos, dans le noir, et il se rappela qu’il avait mangé deux fois de la soupe pendant le jour. Il s’était réveillé et une femme pâle, le visage à moitié dissimulé sous un masque blanc, lui avait donné de la soupe. Il s’était de nouveau réveillé et une autre femme, le visage pareillement masqué, lui avait redonné de la soupe. C’était un bouillon sans viande, plutôt bon, mais il avait été incapable d’en manger beaucoup. La deuxième fois, la femme lui avait fait boire un verre de jus d’orange. Il avait reconnu de quoi il s’agissait et l’avait vidé jusqu’à la dernière goutte. Il aimait bien le jus d’orange, mais quand il en avait redemandé à la femme, celle-ci s’était contentée de le regarder par-dessus son masque, puis de hausser les épaules et de dire quelque chose dans une langue qu’il ne comprenait pas. Après quoi, il avait de nouveau sombré dans le sommeil.
    Appuyé sur un coude, il se tourna vers la lumière qui lui entrait dans l’œil. À en juger par la distance qui le séparait de la lueur jaune, il estima qu’il se trouvait dans une pièce très longue. Il cligna des paupières pour tenter de mieux voir. Où était-il ? Et pourquoi les femmes ici se couvraient-elles le visage ? Petit à petit, ses yeux devinrent plus forts, et il distingua entre la lointaine lumière et lui plusieurs silhouettes bosselées installées sur des plates-formes. Entendant tousser près de lui, il se laissa retomber et ralentit le rythme de sa respiration. Lorsque la toux cessa, il repoussa les
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