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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille
Autoren: James Welch
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porteur-de-chemise. » Le jeune homme, Joseph, prenait la parole pour la première fois. « Tu aurais dû être là pour lui. »
    Charging Elk le regarda un moment, jusqu’à ce que le jeune homme détourne les yeux. « Tu as raison, Joseph, dit-il alors. J’ai manqué à mes devoirs vis-à-vis de lui – et de ma mère. Longtemps, je n’ai pensé qu’à moi.
    — Ta mère est toujours là-bas. Elle vit seule, mais ils sont nombreux à lui rendre visite. Je suis sûr qu’elle aimerait te voir.
    — Pourquoi as-tu passé tout ce temps loin de la réserve, Charging Elk ? demanda Andrew Litde Ring. Qu’est-ce que tu as fait durant toutes ces années ? Je vois que tu es toujours l’un d’entre nous, et pourtant tu es différent. »
    Charging Elk considéra le visage mince du Lakota, sa peau brune, ses yeux tellement semblables aux siens. Puis il se tourna vers la femme, Sarah. Elle portait de longues nattes comme il n’en avait pas vu depuis longtemps, qui encadraient un visage rond et lisse au teint couleur noix de pécan. Il comprit alors à quel point les gens de son peuple lui avaient manqué.
    « Tu habites cette ville ? »
    La voix le ramena à la réalité. Il sentit la chaleur du poêle, le léger courant d’air dans son dos. « Oui, depuis seize ans. Je travaille ici, à charger et à décharger les grands bateaux.
    — Mais pourquoi tu restes ? Qu’est-ce qui t’y oblige ? Pourquoi tu ne rentres pas chez toi ? »
    La naïveté de la question le fit rire. Jadis, il l’aurait lui-même posée à un inconnu parti de chez lui depuis longtemps. Aujourd’hui, il ne savait quoi répondre. Il aurait fallu qu’il raconte toute l’histoire, aussi préféra-t-il mentir : « J’étais curieux de voir comment les wasichus vivaient, c’est pour ça que je suis resté. J’ai beaucoup d’amis ici. Ils m’invitent dans leurs tipis et me donnent de bonnes choses à manger et à boire. Ils me donnent de la force.
    — Tu parles la langue des Français ?
    — Oui, et nous parlons de beaucoup de choses : Teddy Roosevelt, New York. » Charging Elk s’exprimait vite, car il n’aimait pas dire de mensonges. « Et vous, vous parlez américain ?
    — Oui. Nous avons tous été à l’école, même Sarah. Le jeune Joseph aussi est parti pour l’école. Tout le monde va à l’école maintenant. »
    Charging Elk sourit à Joseph et lui demanda : « Ils t’ont appris à être aussi intelligent que tes grands-parents ? »
    Joseph leva les yeux vers lui, l’air soudain froid. « Ils m’ont appris beaucoup de choses – à couper mes cheveux, à porter des vêtements pareils aux leurs, à me servir correctement d’un couteau et d’une fourchette, à dire “oui, monsieur, oui, madame”. En effet, ils m’ont appris beaucoup de choses pour que je sois intelligent comme eux. » Il eut un ricanement méprisant souligné par une moue de dégoût qui rendit Charging Elk subitement conscient de ses vêtements de wasichu.
    « Tu comprends, dit Andrew Little Ring avec un soupir. Ils ont traité très durement Joseph et les autres enfants. Ils n’avaient pas le droit de parler lakota, même entre eux. Celui qui le soir priait Wakan Tanka, on l’enfermait seul dans une petite pièce toute noire. S’ils chantaient un de nos chants, on les corrigeait. Joseph a été huit ans en pensionnat. Tous les étés, il fallait qu’il se réhabitue à parler lakota, et les deux dernières années, on ne l’a pas autorisé à rentrer chez lui pour les vacances, sous prétexte qu’il n’était pas encore débarrassé des vieilles coutumes.
    — Et c’est pareil chez nous, intervint Sarah qui berçait maintenant son bébé. Nous n’avons pas le droit de parler notre langue. Nous n’avons pas le droit de pratiquer nos cérémonies. Si nous le faisons, ils nous menacent de supprimer nos rations alimentaires. Et nombre de ceux qui ne l’ont pas cru sont à présent affamés. Beaucoup de gens ont faim et vont mendier à l’Agence.
    — Les choses vont donc si mal pour notre peuple ? » Charging Elk n’en croyait pas ses oreilles. Il se rappela cependant le professeur blanc qui avait déchiré son dessin représentant le soldat mort sur l’Herbe Grasse et qui interdisait aux enfants de parler lakota. Mais interdire aux adultes de parler leur langue et de pratiquer leurs cérémonies, voilà qui dépassait l’imagination ! À l’époque, il ne leur restait plus que cela, et déjà des
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